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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Maracon. Bien qu’il eût été tenu loin de la place du Marché ce jour-là, Axel avait su, par des camarades, comment le bourreau de Morges avait tranché, d’un coup de glaive, la tête du condamné. Cette sanglante réminiscence lui enlevait toute envie de voir guillotiner des gens, dont il ne connaissait même pas les crimes.
     
    Un soleil timide avait chassé le brouillard givrant du matin : l’air était vif, la lumière crue. Un temps qui n’était pas de circonstance. Les choses allèrent très vite. À peine montés sur l’estrade, les condamnés furent, l’un après l’autre, brutalement couchés sur la lunette. Les curieux entendirent le choc du couperet et virent, les uns avec émotion, les autres sans manifester le moindre sentiment, certains approuvant un supplice destiné à faire réfléchir les criminels en puissance, les têtes des condamnés tomber dans les paniers garnis de sciure que les aides du bourreau avaient placés au pied des bois de justice.
     
    Axel fut stupéfait par la vue du visage d’Adrienne, quand elle se retourna vers lui. Son regard exorbité accentuait la différence de couleur de son œil vairon. Bouche ouverte, teint pâle, mains frémissantes, elle eût applaudi si un reste de décence ne l’eût retenue. Elle vint à Axel d’un pas saccadé et, le souffle court, se jeta dans ses bras.
     
    – Embrasse-moi, embrasse-moi fort, fort ! Que c’est bon, la vie, quand la mort passe, mon Axou !
     
    Puis elle ajouta à haute voix, au risque d’attirer l’attention des gens qui s’éloignaient, en commentant l’exécution :
     
    – C’est maintenant qu’il serait bon de faire l’amour !
     
    – Tais-toi, tu es folle, Adry ! Calme-toi.
     
    Elle rétablit l’équilibre de sa toque de fourrure, que la violence de l’embrassade avait compromis, et, dans la seconde, redevint elle-même.
     
    – Je vais être en retard à mon rendez-vous, constata-t-elle, mondaine.
     
    Il l’accompagna rue de la Corraterie.
     
    – Nous nous retrouverons ce soir à l’hôtel n’est-ce pas ? dit-elle tendrement, au moment de la séparation, devant le porche d’une belle maison.
     
    Puis elle ajouta :
     
    – Et demande à mon père s’il a envie de me voir et où nous pouvons nous rencontrer tous trois, nous, les yeux vairons !
     
    Axel, scandalisé par cette foule bruissante, rassemblée autour de l’échafaud par une curiosité morbide et malsaine, se détourna quand il dut repasser devant la guillotine que, déjà, l’on démontait.
     
    Dans cette ville puritaine, où les distractions étaient rares, la fin de deux criminels constituait une attraction pour le bon peuple de Saint-Gervais et des rues basses. Seul l’orgueil de classe retenait les bourgeois de la ville haute de se joindre aux gens du bas. Axel eût bien parié, cependant, que derrière les rideaux entrouverts des beaux hôtels à fronton grec, sur la rampe de la Treille, d’aimables patriciennes, l’œil rivé à leur lorgnette de théâtre, avaient suivi, manifestation édifiante d’une bonne justice, l’affreux spectacle de la place Neuve.
     

    Quittant ce lieu dévolu à la guillotine importée de Paris au temps de la Terreur, Axel Métaz se dirigea vers le jardin botanique. Il avait besoin de retrouver la maîtrise de ses sentiments avant de se rendre au café Papon. En cheminant sur la Belle Promenade, comme les Genevois nommaient cette voie, ouverte, un siècle plus tôt, entre les anciennes fortifications, le Veveysan se souvint qu’en 1794 onze condamnés par le Tribunal révolutionnaire genevois avaient été fusillés contre le mur de soutènement de la Treille, nommé depuis « mur de plomb ». Dès les premiers beaux jours – et la douceur soudaine de ce 8 mars annonçait le printemps – les vieux s’y adossaient pour jouir du soleil. Ils prenaient, sans le savoir, la place et la posture des aristocrates exécutés !
     
    Comme Axel longeait l’orangerie et les serres, la silhouette d’un promeneur, qui le précédait, retint le regard du jeune homme. Entre mille dos, il eût reconnu celui de Martin Chantenoz. Un peu voûté, l’épaule droite tombante, le cheveu fou, celui par qui le scandale était arrivé deux ans plus tôt avançait à pas lents, tête baissée, sans prêter attention au décor ni aux gens. En trois enjambées, sans même avoir pris le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire, Axel rattrapa son ancien précepteur. Il fit une

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