Rive-Reine
éduqué à Genève et à Paris. On lui prête les idées libérales héritées de sa mère, princesse et républicaine !
– Mais les Autrichiens, les Russes et leurs alliés vont certainement réagir. Les Piémontais ont déjà vu leurs espoirs déçus !
– Certes. Les Autrichiens, avec l’aide du tsar, que nous croyions plus libéral, parce que formé par un précepteur vaudois, M. de La Harpe, veulent d’abord mettre les Napolitains à la raison. Depuis le 2 juillet 1820, le général Guillaume Pepe a soulevé ses partisans. Ils sont nombreux, plus de cent mille, dit-on, dont les cohortes se réclament de Fabricius ou des Spartiates, mais ils auraient plus d’ardeur au combat s’ils se sentaient un peu soutenus.
– J’ai entendu dire que le banquier français Laffitte aurait avancé dix millions à cette armée, observa Axel.
– L’argent est une chose facile à trouver quand une révolution est en voie de réussir. Les banquiers sont toujours prêts à ouvrir leur caisse à ceux dont ils supposent qu’ils seront les maîtres de demain ! Les financiers ne donnent rien, ils investissent, comme ils disent. Les hommes d’affaires suisses soutiennent les Grecs qui se sont rebellés contre les Turcs en Morée et Alexandre Ypsilanti, ami du tsar Alexandre, organisateur de la révolte contre les Turcs qui a pris, il y a une semaine, la ville de Jassi, en Moldavie. Ces marchands-banquiers comptent tirer, plus tard, de leurs bonnes actions en faveur des opprimés des bénéfices commerciaux. La Grèce produit du coton à bon marché, Axou.
– Mon banquier m’a dit que M. de Rothschild, lui-même, s’intéresse à ces mouvements libéraux, reprit le jeune homme.
– Pour la même raison que les autres financiers, Axou. Tu sais comment les Rothschild, car c’est une bande de quatre frères, ont arrondi leur fortune : d’abord en se faisant « les escompteurs du commerce anglais », l’empereur l’a dit, et en assurant les transferts de fonds qui, à partir de l’Angleterre, soutenaient les coalisés en guerre contre la France. Et maintenant, ne sont-ils pas les banquiers des Bourbons ? Et puis n’oublie pas le joli coup de Bourse qu’ils firent en apprenant les premiers, par un de leurs agents, la défaite de Waterloo. Ils vendirent, d’un coup, toutes les actions françaises, pour spéculer sur la rente anglaise !
– Cependant, on dit les Rothschild républicains, risqua Axel.
Adrienne éclata de rire.
– Ils sont d’abord des hommes d’argent, ensuite républicains, royalistes, bonapartistes, tsaristes, papistes, réactionnaires, libéraux, socialistes et même communistes, comme Cabet, s’il y a de l’argent à ramasser. Tu es jeune et naïf, Axou. L’or n’a ni patrie, ni opinion politique, ni religion, ni vertus, ni vices, ni honneur. Il est l’universel entremetteur, sans foi ni loi.
– Mais tu n’es pas contre le fait d’en acquérir et d’en dépenser, lança Axel, ironique.
– Un proverbe anglais dit : « L’argent est bienvenu, même dans un torchon sale. » C’est pourquoi il faut le prendre comme la clé d’or qui ouvre toutes les portes, celles des ministres, des duchesses, des putains et, même, celle du pape !
Adrienne annonça soudain qu’elle avait un rendez-vous, le matin même, à la Petite Corraterie, avec un ami sûr. Ce dernier devait l’introduire chez plusieurs Genevois qui jouissaient d’une autorité morale suffisante pour obtenir du pouvoir fédéral un adoucissement aux mesures d’expulsion décidées à l’encontre des libéraux italiens.
– J’ai une lettre d’introduction pour M. Sismonde de Sismondi, un savant, un écrivain connu de tous les érudits européens. Il habite à une demi-lieue de Genève, sur la rive gauche du lac, dans un village appelé Chêne. Cet homme est la bonté même et tous nos amis chantent ses louanges. Il procure des passeports, distribue de l’argent à ceux qui en ont besoin pour fuir, intervient quand les autorités cantonales veulent expulser un réfugié turbulent. Il a été l’ami de M me de Staël et connaît bien l’Italie. Son Histoire des républiques italiennes au Moyen Âge est considérée comme un monument. À ce qu’on m’a dit, il est marié à une jolie Anglaise, Jessie Allen, parente de sir James Mackintosh, ce membre du Parlement britannique qui osa proclamer son adhésion à la Révolution française
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