Robin
cellule qu’on leur avait préparée et s’endormirent sur des
carpettes de paille recouvertes de laine de mouton. Lorsque la cloche le
réveilla le lendemain matin, Bran constata que Ffreol et Aethelfrith étaient
déjà partis prier. Il chaussa ses bottes, brossa sa cape couverte de paille et
sortit dans la cour de l’abbaye en attendant la fin du Saint-Office.
Là, il se répéta mentalement ce
qu’il leur faudrait dire à William le Rouge. À présent que le jour fatidique
s’était levé, Bran se retrouvait sans mots, écrasé par la terrible
responsabilité qui pesait sur ses épaules : le sort de son peuple
dépendait de son aptitude à convaincre le roi anglais de l’injustice commise à
son égard. Le découragement s’emparait de lui à mesure qu’il prenait conscience
des sombres perspectives qui l’attendaient en cas d’échec : devenir le
pauvre laquais d’un butor ffreinc s’adonnant à la débauche et à la boisson.
Quand Ffreol et Aethelfrith
finirent par sortir de la chapelle, Bran était prêt à passer un pacte avec le
Diable lui-même si cela devait lui permettre de bouter ces infâmes envahisseurs
hors de l’Elfael.
Après avoir pris congé, les voyageurs
franchirent les portes du monastère et s’engagèrent dans les rues de la cité en
direction de la Tour Blanche, ainsi qu’on appelait la forteresse du roi.
Bran pouvait deviner la pâle
structure de pierre s’élever au-dessus des toits des misérables maisons basses
qui s’abritaient dans l’ombre des murs de la forteresse. Une fois devant
l’édifice, frère Ffreol donna au portier les titres de noblesse de Bran et lui
fit part des motifs de leur venue. Le soldat les conduisit directement dans la
cour et leur montra où attacher leurs chevaux. Un serviteur en livrée les guida
ensuite dans la forteresse proprement dite, jusqu’à une grande antichambre
constellée de bancs alignés sur lesquels une douzaine d’hommes au moins –
ffreincs, pour la plupart, mais parfois anglais – attendaient déjà ;
d’autres allaient et venaient d’un pas lourd le long des murs de la pièce. La
seule pensée d’avoir à attendre son tour mit Bran de méchante humeur.
Ils s’installèrent dans un coin de
la pièce. À intervalles réguliers, un courtisan apparaissait, appelait un ou
plusieurs requérants et les emmenait avec lui. Pour le meilleur ou pour le
pire, les heureux élus ne revenaient jamais dans l’antichambre, aussi son
aigreur se teinta-t-elle de quelque optimisme – mêlé d’une dose de désespoir.
« J’ai entendu dire que certaines personnes ont attendu plus de vingt
jours avant de pouvoir parler au roi, confia frère Aethelfrith en balayant du
regard les hommes alignés sur les bancs.
— Nous ne resterons pas
bloqués ici aussi longtemps », déclara Bran, mais cette perspective
assombrit derechef son humeur. Certaines des personnes présentes dans la pièce
semblaient effectivement y avoir établi résidence de manière plus ou moins
permanente ; quelques-unes sortaient de la nourriture de sacs bien garnis,
d’autres dormaient, d’autres encore passaient le temps en jouant aux dés. Le
matin s’écoula ; la journée promettait d’être longue.
Midi était passé, et l’estomac de
Bran avait commencé à lui rappeler qu’il n’avait rien mangé d’autre que de la
soupe et du pain dur la veille, quand la porte située à l’autre bout du grand
vestibule s’ouvrit et qu’un courtisan vêtu de jambières jaunes, d’une courte
tunique et d’une cape vert vif, en sortit pour passer lentement devant les
bancs encombrés de requérants pleins d’espoir. Lorsqu’il fut assez près d’eux,
Bran se releva d’un bond : « Nous voulons voir le roi, dit-il dans
son meilleur latin.
— Oui, répondit l’homme, et
quelle est la nature de l’affaire qui vous amène ici ?
— Nous voulons voir le roi.
— Bien sûr. » L’officier
de la cour jeta un œil en direction des compagnons de Bran. « Vous êtes
tous les quatre ensemble ?
— En effet, répondit le
prince.
— Je vous demandais pourquoi vous vouliez voir le roi.
— Nous sommes venus demander
réparation d’un crime commis en son nom », lui expliqua Bran.
Le regard de l’officier se fit plus
perçant. « Quelle sorte de crime ?
— Le massacre de notre
seigneur et de sa garde, et l’invasion de nos terres, intervint frère Ffreol,
qui reprit aussitôt sa place aux côtés de
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