Robin
suffisant avec
ses poings.
Aussi raide qu’un piquet, les
poings serrés de rage, il dévisagea les courtisans, totalement désorienté. Dans
sa vision teintée de sang, il aperçut un baquet d’huile à ses pieds ;
avant que quiconque n’ait eu le temps de l’arrêter, il s’en saisit et le vida
sur la table, souillant au passage le cardinal, ses clercs et le tas de
parchemins. Tandis que les courtisans atterrés bafouillaient de colère, il
retira calmement un des parchemins taché de la pile, l’approcha d’une torche
enfoncée dans une applique murale et y mit le feu. Il souffla dessus pour
fortifier la flamme, puis la lança sur la table. L’huile s’embrasa aussitôt, et
le feu gagna immédiatement la table, les parchemins et les hommes. Les clercs, qui
fouettaient frénétiquement l’incendie de leurs mains, ne parvenaient qu’à le
propager. Saisi de terreur, le cardinal se mit à crier comme un enfant quand
les langues de feu bondirent jusqu’à ses cheveux et transformèrent la riche
fourrure de renard qui garnissait sa robe en un collier de flammes vivantes.
Bran s’entrevit un instant, hâve et sinistre, tandis que les clercs hurlants
fuyaient la pièce en courant, laissant derrière eux des empreintes de pas
souillées d’huile. Il vit le visage de Ranulf de Bayeux bouillonner et se
fissurer comme la peau d’un porc sur une broche.
« En suspens, monseigneur,
s’enquit Ffreol alors qu’il luttait pour reprendre son souffle, pardonnez-moi,
mais cela signifie-t-il que le baron de Braose conserve ces
territoires ? »
La voix de Ffreol fit sortir Bran
de sa transe. Il se sentait vidé, hébété. Sans même attendre la réponse du
cardinal, il tourna les talons et sortit à grandes enjambées de la salle.
« Jusqu’à ce que la somme soit
payée, oui », finit par répondre le cardinal Ranulf. Il étendit la main
vers une petite cloche en bronze pour appeler le portier. « Ne vous donnez
pas la peine de revenir ici sans l’argent. » Puis, agitant de nouveau la
cloche pour mettre fin à l’audience, il ajouta : « Que Dieu vous
assure une belle journée ainsi qu’un agréable voyage de retour. »
CHAPITRE 9
« Ainsi qu’un agréable voyage
de retour, minaudait Aethelfrith en parodiant grossièrement le cardinal Ranulf.
Apportez-moi mon bâton, et je vais lui en donner un, moi, à ce crapaud bouffi,
d’agréable voyage ! »
La mine renfrognée, Bran passa les
portes de la Tour Blanche en silence, s’éloignant sans un regard en arrière.
L’arbitraire, la monstrueuse injustice des exigences du cardinal faisaient
monter en lui des vagues de colère. Le souvenir d’une autre injustice dont il
avait été victime lui revint d’un coup en tête : des années plus tôt, le
prince était sorti avec certains de ses hommes ; alors qu’ils
chevauchaient au sommet d’une corniche, ils avaient aperçu une bande de
maraudeurs irlandais menant du bétail volé à travers le cantref. Surpassés en
nombre comme en armes, ils avaient laissé les maraudeurs passer sans les
interpeller, et étaient rentrés en hâte au caer pour que Bran puisse en référer
à son père. Ils l’avaient trouvé dans la cour, parmi les autres membres de la
garde. « Tu les as laissés partir et tu oses te montrer devant moi ?
avait grondé le roi une fois que Bran lui eut expliqué de quoi il en
retournait.
— Ils nous auraient massacrés
pour le compte, lui avait expliqué Bran en reculant. Il y en avait trop.
— Espèce de petit poltron bon
à rien ! » avait hurlé le roi. Les guerriers rassemblés dans la cour
avaient regardé sans broncher le roi armer sa main et l’abattre sur la tête de
Bran. Le coup avait fait tournoyer le garçon jusqu’au sol. « Mieux vaut
mourir sur le champ de bataille que vivre comme un couard ! avait rugi le
roi. Relève-toi !
— Perdre dix hommes valeureux
pour quelques vaches ? avait répliqué Bran tandis qu’il se relevait. Seul
un imbécile trouverait ça mieux.
— Espèce de gamin
pleurnichard ! » s’était écrié le roi en le frappant derechef. Bran
avait cette fois encaissé le coup, ce qui n’avait fait qu’accroître la fureur
de son père. Le roi l’avait frappé encore et encore – jusqu’à ce que Bran,
incapable d’en supporter davantage, se décidât à s’enfuir de la cour,
sanglotant de douleur et de frustration.
Les ecchymoses que lui avait
infligées son père avaient duré longtemps, et l’humiliation
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