Robin
sommet de colline. Partout
planait une odeur d’excréments, âcre et lourde dans l’atmosphère étouffante.
Lorsque apparut l’agglomération de Lundein au-delà du cours majestueux de la
Tamise, Bran en avait depuis longtemps par-dessus la tête de l’Angleterre, et
n’aspirait qu’à retourner en Elfael. En temps ordinaire, il n’aurait pas
supporté pareille misère en silence, mais la vue de la cité lui rappela la
raison de leur venue ; le poids d’un chagrin infiniment plus grand tomba
alors sur ses épaules. Se contentant de se mordre les lèvres, il poursuivit sa
route à travers le malheureux royaume le regard fixé devant lui, le visage
fermé.
En approchant de la cité, la route
s’agrandissait jusqu’à ressembler à une large étendue plane cernée de chaque
côté par des rangées de maisons, pour la plupart flanquées de cours étroites
devant lesquelles des marchands et des artisans vaquaient à leurs occupations
commerciales. Des charretiers, des charpentiers et des charrons discutaient
avec leurs clients enfoncés dans les copeaux de bois jusqu’aux chevilles ;
des forgerons martelaient des tringles rougeoyantes sur leurs enclumes pour
réaliser des chenets, des grilles de foyer, des socs de charrue, des charnières
de porte, des chaînes ou des fers à cheval ; des cordiers se tenaient
assis sur le seuil de leur porte, occupés à passer du jute dans les écheveaux
qui s’étalaient en rouleaux à leurs pieds ; des potiers portaient des
alignements de cruches séchées au soleil, de jarres et de bols jusqu’au four.
Partout où le regard de Bran se portait, les gens semblaient en pleine
activité, mais nulle part il n’aperçut d’endroit un tant soit peu accueillant
pour les étrangers.
Ils atteignirent bientôt une maison
basse construite en front de rivière. Devant l’entrée qui donnait sur la route
étaient alignés plusieurs dizaines de tonneaux, certains surmontés de planches.
Derrière eux, une jeune femme à la chevelure ondulée et dorée, couverte d’un
fichu rouge vif qui descendait jusqu’à ses épaules nues, distribuait des
pichets de bière à un petit groupe de voyageurs. Sans réfléchir, Bran fit
bifurquer sa mouture, mit pied à terre et marcha jusqu’à la table de fortune.
« Pax vobiscum », dit-il
en latin rouillé.
Elle lui adressa un hochement de
tête et tapota les planches avec sa main – sans doute, pensa Bran, pour
lui signifier qu’elle voulait voir son argent d’abord. Le temps qu’il sorte sa
bourse et trouve la pièce appropriée, ses compagnons l’avaient rejoint.
« Permettez-moi », dit
Aethelfrith en passant de force devant lui, avant de produire un penny anglais.
« Une pièce du royaume. » Il tenait le petit disque d’argent entre le
pouce et l’index. « Et pour sûr, ça devrait suffire pour nous offrir un
repas de roi. » Il tendit l’argent à la femme. « Quatre pichets,
gentille femme, annonça-t-il en anglais. Et remplis-les à ras bord.
— Ils ont aussi de la
nourriture ? demanda Bran tandis qu’elle allait chercher une cruche pour
remplir les pichets.
— À l’intérieur »,
répondit l’ecclésiastique. Suivant le regard de Bran, il ajouta :
« Mais nous n’allons pas entrer.
— Et pourquoi donc ?
L’endroit semble accueillant. » Il pouvait sentir l’odeur du porc rôti et
des oignons dans la légère brise du soir.
« Oh, certes, assez
accueillant pour pratiquer des tarifs de scélérat, ou peut-être pour vous
déposséder de votre bourse – sinon de votre vie. » Il secoua la tête
comme pour suggérer la dépravation des lieux. « Mais un lit nous attend
ailleurs, pour un prix qui ne dépassera pas celui d’un psaume.
— Vous connaissez de tels
endroits ? demanda Ffreol.
— Il y a un monastère de
l’autre côté de la rivière, les informa frère Aethelfrith. L’abbaye de la
Sainte Vierge Marie. J’y ai déjà résidé. Ils nous donneront le gîte et le
couvert pour la nuit. »
Le penny d’argent d’Aethelfrith fut
suffisant pour leur payer une autre tournée de bière ainsi qu’une demi-miche de
pain coupée en tranches frottées avec du gras de porc, ce qui ne réussit qu’à
éveiller leur appétit. À la moitié de sa seconde bière, Bran commençait déjà à
revenir sur la mauvaise impression que Lundein lui avait initialement laissée.
Il s’en convainquit plus encore lorsqu’il surprit le regard que lui portait la
jeune femme qui les
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