Robin
et
noire qu’un os carbonisé.
CHAPITRE 19
Falkes de Braose n’en pouvait plus
d’attendre l’arrivée du printemps. Le comte brûlait de voir disparaître ce
froid qui lui vrillait la tête et le faisait claquer des dents, qu’enfin
finisse l’hiver le plus froid qu’il avait jamais vu – et qui venait à
peine de commencer ! Tandis qu’il frissonnait dans son fauteuil, enveloppé
dans sa cape et ses robes – un véritable monticule de laine brun
foncé –, il se consolait à l’idée que l’hiver prochain, il serait
confortablement installé dans ses propres appartements privés au cœur d’un
donjon de pierre tout neuf. Dans ses rêves enchanteurs il imaginait de
douillettes pièces lambrissées ornées de lourdes tapisseries pour empêcher
d’entrer le vent glacial, ainsi qu’un lit bien chaud devant un âtre flamboyant
rien que pour lui. Plus jamais il n’aurait à supporter la grande salle froide
et sombre, avec ses courants d’air, sa fumée et son humidité.
Il ne passerait pas un autre hiver
emmitouflé comme un ver ridiculement hypertrophié guettant le printemps pour
pouvoir s’extraire de son cocon. L’hiver prochain, on prévoirait une bonne réserve
de combustible ; une fois déterminés leurs besoins, il triplerait la mise.
La lutte quotidienne pour tirer une chaleur insuffisante du bois détrempé était
de la folie douce, et le comte s’était juré de ne plus jamais supporter
pareille horreur. Dans un an, il rirait à la face de la pluie et ferait un pied
de nez à chaque flocon de neige qui croiserait sa route.
En attendant, il refusait de
quitter son donjon avant le dégel du printemps. Là, il étudiait les plans
dressés par le maître architecte pour les nouveaux châteaux du baron :
l’un ferait face aux territoires du nord-ouest pas encore conquis, un autre
allait servir de soutien aux contrées du sud, et le dernier allait défendre les
arrières des deux autres contre toute attaque en provenance de l’est. Les trois
châteaux, à quelques variations minimes près, étaient identiques, mais Falkes
étudiait chaque détail des dessins avec minutie, en quête d’améliorations qu’il
pourrait suggérer à son oncle et que ce dernier serait susceptible d’approuver.
Jusque-là, il n’en avait trouvé qu’une seule : augmenter la taille de la
citerne qui capturait l’eau de pluie pour d’éventuels usages d’urgence. Pareil
détail ne risquant guère d’impressionner son oncle, il poursuivait son examen
scrupuleux des plans en rêvant à de plus chauds climats.
Cinq jours après la
Sainte-Bénédicte, un messager arriva avec une lettre du baron. « De bonnes
nouvelles, j’espère, dit Falkes au courrier en réceptionnant le parchemin
enroulé. Vous comptez rester un moment ?
— Mon seigneur le baron
demande une réponse sans délai, répondit l’homme en secouant l’eau de pluie de
sa cape et de ses bottes.
— Vraiment ? » Son
intérêt suffisamment piqué, Falkes fit signe au courrier d’aller attendre aux
cuisines. Une fois seul, il brisa le sceau, déroula le petit morceau de
parchemin, se recula dans son fauteuil et approcha de ses yeux le document
écrit en pattes de mouche. Il lut la lettre du début à la fin, et la relut
attentivement pour s’assurer qu’il n’avait rien manqué.
Le message était assez
simple : son oncle, impatient d’affermir son emprise sur l’Elfael afin de
commencer l’invasion prévue de longue date des territoires situés au-delà,
demandait que la construction de ses nouveaux châteaux débute immédiatement. Le
baron envoyait des maçons et des travailleurs qualifiés sur-le-champ. En outre,
la plupart viendraient avec leur famille, ce qui les dispenserait d’avoir à
retourner dans leur foyer à la fin de la bonne saison et leur permettrait de
travailler jusqu’à ce que l’hiver ne vienne interrompre leur labeur. Par
conséquent, le baron de Braose voulait que son neveu consacre l’intégralité de
ses ressources à bâtir une ville et à la doter d’un marché pour que les
travailleurs et leur famille aient un endroit où vivre pendant les travaux.
« Une ville ! bredouilla
Falkes. Il veut que je bâtisse toute une ville avant l’hiver
prochain ! »
Le baron concluait sa lettre en se
disant persuadé qu’il pouvait compter sur son neveu pour donner suite à ses
ordres avec le plus grand zèle et la plus vive détermination, et qu’il
arriverait le jour de la Saint-Michel pour
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