Robin
à reconnaître le Conquérant et à faire le nécessaire pour permettre
à son peuple de vivre en paix ? « Quoi ? » Asaph
pouvait entendre les cris d’indignation du roi. « Je devrais m’agenouiller
devant le postérieur rosé de cet usurpateur et l’embrasser ! Avoir un roi
dans mon propre pays ? On devra me brûler vif pour que je plie
l’échine ! »
Eh bien, il avait planté sa
parcelle et récolté sa récompense, Dieu ait son âme – et celle de son
incapable de fils. Quel dommage. Aussi dissolu, imprudent et licencieux qu’il
ait été – cela et bien plus encore –, il possédait également des
qualités dont son père n’avait pu se targuer. Bien cachées, certes. Trop
profondément pour qu’il ait pu en faire usage ? Asaph se le demandait
souvent.
Hélas, la question était restée
sans réponse, et elle n’en aurait jamais. Avec la mort de Bran, une époque
avait pris fin et une nouvelle avait commencé. Qu’on les aime ou pas, les
Ffreincs étaient là et n’entendaient pas repartir. La voie devant lui semblait
donc toute tracée : son seul espoir de guider son troupeau dispersé à
travers les tempêtes qui les attendaient était de chercher à gagner les faveurs
de la puissance dirigeante – et de prier.
Ce fut dans cet état d’esprit plein
de déférence que l’ecclésiastique supérieur de Llanelli pénétra dans la
forteresse. Occupé à souffler sur ses doigts engourdis, le comte Falkes de
Braose l’attendait dans sa grande salle froide, humide et remplie de fumée,
devant un feu de bois vert crépitant.
« Ah, monseigneur Asaph. Ça me
fait plaisir de vous revoir. J’espère que vous allez bien ? » Falkes
renifla et s’essuya le nez du revers de sa manche.
« Oui, répondit l’évêque avec
raideur, assez bien.
— Pour ma part, remarqua le
comte, je semble condamné à endurer une éternité de souffrances, à un titre ou
à un autre – et ce temps exécrable n’est pas la dernière.
— Mais en dépit de vos
souffrances, vous êtes toujours en vie pour vous plaindre », fit observer
l’évêque d’une voix aussi froide que la salle. En présence de Falkes, il
ressentait à nouveau la perte de frère Ffreol et la disparition de Bran –
sans même parler de la tuerie du gué de la Wye. La mort de Ffreol avait été
accidentelle – c’était en tout cas ce qu’on lui avait dit. Le massacre du
roi et de sa garde était, pour regrettable qu’elle fût, une conséquence directe
de la guerre, et de ce fait admissible. Mais le meurtre de Bran, à ses yeux,
restait injustifiable. Que le prince ait été tué en essayant d’échapper au
paiement de sa rançon n’avait selon lui rien à voir. Quoi qu’on ait pu penser
du jeune homme, il était l’héritier légitime du trône de l’Elfael, et il aurait
fallu lui témoigner le respect qui lui était dû.
« Surveille ta langue, prêtre,
si jamais tu tiens à elle, le menaça de Braose, qui renifla aussi sec. Je ne
suis pas d’humeur à tolérer ton insolence. »
Dûment réprimandé, Asaph joignit
les mains. « On m’a dit que vous vouliez me voir. En quoi puis-je vous
être utile ? »
De Braose désigna de sa longue main
le fauteuil vide de l’autre côté du foyer. « Asseyez-vous, que je vous
explique. » Une fois que l’homme d’église se fut installé, le comte
déclara : « Il a été décidé que l’Elfael avait besoin d’une ville.
— Une ville, répéta l’évêque.
Il se trouve que j’ai longtemps milité pour un projet similaire.
— Vraiment ? grimaça
Falkes. Fort bien. Nous sommes donc d’accord. Il faudra la doter d’un
marché. » Et il lui expliqua comment il comptait procéder, et sous quel
délai.
L’ecclésiastique sentait son
inquiétude monter à chacune de ses paroles. Quand le comte marqua une pause
pour éternuer une fois encore, il ne mâcha pas ses mots :
« Pardonnez-moi, mon seigneur, mais à qui comptez-vous confier la
construction de cette ville ?
— À votre peuple, bien sûr,
déclara le comte en étendant ses mains en direction du feu. À qui
d’autre ?
— Mais c’est impossible !
s’exclama Asaph. Nous ne pouvons pas vous bâtir toute une ville en un seul
été. »
Les yeux du comte se plissèrent
dangereusement. « Cela sera profitable à nos deux peuples.
— Quand bien même, cela reste
impossible, objecta l’homme d’église. Même si nous avions en notre possession
suffisamment d’outils et
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