Robin
se
lever.
Doucement, avec force précautions,
il s’extirpa de sa couche en s’appuyant sur le coude de son bras valide. Ses
épaules étaient raides, sa poitrine lui faisait mal, le moindre mouvement lui
causait des vagues de douleur terribles qui le laissaient haletant. À chaque
crise il marquait un temps d’arrêt, les yeux fermés, pour étreindre sa poitrine
jusqu’à ce que la souffrance s’estompe et que sa vision se rétablisse.
Sur le sol à côté de son lit se
trouvait une petite bassine en fer remplie d’eau. Se gardant de tout geste
brusque, il étendit la main et parvint à en agripper le bord avec deux doigts
pour rapprocher le lourd récipient. Lorsque l’eau eut fini de se répandre
autour de la bassine, il se pencha sur le côté et regarda. Le visage qui lui
faisait face était terriblement difforme ; son côté droit était gonflé et
jauni, une ligne noire irrégulière courait depuis la lèvre inférieure jusqu’au
lobe de l’oreille. La peau qui la longeait était plissée sous sa barbe rêche,
qui avait été rasée tant bien que mal pour protéger la blessure de ses poils.
Rendu furieux par l’image que l’eau
lui renvoya, il repoussa violemment la bassine. Et le regretta aussitôt. Une
nouvelle vague de douleur afflua, plus forte encore que les précédentes.
Incapable de la supporter, il retomba en arrière, les yeux pleins de larmes. Il
poussa un gémissement, ce qui le fit tousser et rouvrit sa blessure à la
poitrine. Immédiatement, il se mit à expectorer du sang.
D’épaisses bulles coagulées
surgirent de sa gorge et se répandirent sur son menton. Il eut un haut-le-cœur
et se mit à cracher du sang qui s’éleva en une légère brume rougeâtre au-dessus
de lui. Chaque quinte en provoquait une pire, ce qui l’empêchait de reprendre
son souffle. Au moment même où il crut s’étrangler dans son propre sang jusqu’à
ce que mort s’ensuive, la vieille femme apparut à ses côtés.
« Qu’as-tu fait ? »
dit-elle en s’agenouillant.
Incapable de répondre, la
respiration sifflante, il crachotait du sang entre ses dents. D’un prompt
mouvement, Angharad arracha la couverture en peau de mouton et posa une main
légère sur sa poitrine. « Paix ! » dit-elle à voix basse, telle
une mère parlant à un enfant affolé.
Sur toi j’appose le pouvoir de
la lune
Sur toi j’appose le pouvoir du
soleil
Sur toi j’appose le pouvoir des étoiles
Sur toi j’appose le pouvoir de
la pluie
Sur toi j’appose le pouvoir du
vent
Sur toi j’appose le pouvoir du
ciel
Sur toi j’appose le pouvoir du
ciel par celui de Dieu de te guérir.
Elle fit glisser sa main au-dessus
de sa poitrine ; le bout de ses doigts effleura doucement la chair
meurtrie. « Que ta blessure se referme, et que ton sang arrête de couler,
tout comme le Christ sur sa croix », entonna-t-elle, sa voix semblable à
une caresse.
Un peu de cette blessure sur les
hautes montagnes
Un peu de cette blessure dans
l’herbe des prairies
Un peu de cette blessure sur les
landes recouvertes de bruyère
Un peu de cette blessure dans la
grande mer houleuse
Qui sait le mieux l’emporter
Cette blessure dans la grande
mer houleuse,
Elle sait le mieux l’emporter
Loin… loin… loin de toi.
La douleur reflua au chaud contact
d’Angharad. La respiration de Bran s’apaisa, le laborieux travail de ses
poumons devint plus facile. Il se mit sur le côté, son menton et sa poitrine
maculés de sang, et articula en silence le mot merci.
Elle prit un morceau de chiffon
qu’elle plongea dans la bassine et entreprit de laver le jeune homme. Ses soins
patients, qu’elle pratiqua en chantonnant, finirent par le relaxer.
« Maintenant tu vas dormir », lui dit la vieille femme quand elle en
eut terminé.
Les paupières lourdes, il ferma les
yeux et se retrouva aussitôt dans un lieu sombre, hors du temps, où ses rêves
s’enflammèrent d’étranges visions d’impossibles exploits, de gens qu’il
connaissait mais n’avait jamais rencontrés, de choses du passé – ou
peut-être à venir –, lorsque le roi et la reine donnaient vie et amour à
leur peuple, quand les bardes chantaient les prouesses des héros, quand la
terre accordait ses faveurs en abondance, quand Dieu considérait d’un œil bienveillant
Ses enfants et que les cœurs étaient remplis de joie. Mais surtout il rêva
cette nuit-là d’un étrange oiseau au long bec et à la tête aussi lisse, dure
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