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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ne paraissait au profane, car l’ouvrier devait éviter
de trop enfoncer son outil afin de ne pas exposer la racine des ceps à être
découverte par la première pluie, ce qui eût été fatal à la vigne. Il fallait
aussi dépiquer les échalas, les nettoyer, puis les mettre à tremper, pendant
trois jours, dans un bain d’eau sulfatée. « Pas plus de cinq kilos de sulfate
de cuivre pour cent litres d’eau », conseillait Axel Métaz.
    Belle-Ombre bénéficiant de ce que les vignerons nomment un
terrain léger, par contraste avec certaines terres, dites fortes, de Lavaux, Axel
savait qu’un pied de vigne ne donnait pleinement que pendant une quinzaine d’années
alors qu’à la Grand’Vigne il pouvait conserver toute sa vigueur durant un
demi-siècle. Il devait donc prévoir, chaque année, pour sa vigne préférée, le
renouvellement d’une partie des ceps. Une année avant celle prévue pour l’arrachage,
les réformés devaient être taillés à ruine, comme disait Blanchod, c’est-à-dire
métaillés en termes vaudois. Au lieu de laisser un seul bouton par sarment, on
en laissait deux ou trois, si bien que le cep, pour son ultime vendange, son
chant du cygne, offrait un tiers de plus de raisin qu’à l’ordinaire. Les pieds
de vigne arrachés s’en allaient sécher dans le bûcher de Rive-Reine. La
dernière grâce qu’ils feraient au vigneron serait de parfumer ses feux d’hiver.
    Quand on fit, dans le cercle Fontsalte, le bilan de cette
année, on convint qu’elle n’avait pas apporté d’autre désastre qu’une tempête
exceptionnelle. En regardant au-delà de leurs frontières, les Vaudois avaient
de quoi se dire privilégiés.
    La France voisine, comme la nommaient les Laviron, avait
connu une nouvelle agitation politique et l’opposition républicaine, prête à
tout pour abattre la monarchie, s’était servie d’une correspondance apocryphe
du roi et de faux Mémoires, attribués à la baronne de Fenchères. Plus
grave encore, le duc d’Aumale, fils du roi, qui rentrait d’Algérie à la tête de
son régiment, le 17 e  légers, avait échappé de justesse à un attentat
le 13 septembre. L’assassin, nommé Quénisset, homme de main d’une société
secrète communiste, ayant pour organe le Journal du peuple, avait été
arrêté sur-le-champ. Le roi Louis-Philippe avait lui-même essuyé, sans dommages,
les coups de pistolet d’un autre assassin, nommé Damés, le 15 octobre de l’année
précédente. Ces gestes criminels prouvaient que l’agitation des esprits, consécutive
à l’augmentation des impôts, entretenue avec audace par des polygraphes
irresponsables se disant républicains, risquait à tout moment de dégénérer. Déjà,
des émeutes avaient été réprimées à Clermont-Ferrand et à Toulouse.
    À Genève, l’évolution sans révolution, réclamée par les
modérés, semblait se mettre en place. En deux tours, les 14 et 21 décembre,
les Genevois avaient élu leurs députés à la Constituante. Le cens électoral
supprimé, plus de onze mille électeurs avaient été inscrits sur les listes. On
s’étonna, et M. Laviron le premier, que sept mille deux cent vingt-six
citoyens seulement prennent part à une consultation qui, contre toute attente, avait
tourné à l’avantage des conservateurs, assurés de détenir la majorité à la Constituante.
Sur cent quinze sièges de députés, les conservateurs s’en adjugeaient
cinquante-cinq, contre trente et un aux libéraux et radicaux. Situation toute
nouvelle, vingt-neuf catholiques accédaient à l’assemblée, ce qui réjouissait l’abbé
Vuarin. À ces élus tout neufs, radicaux et conservateurs allaient s’empresser
de faire la cour, car on ne savait trop de quel côté ils pencheraient ! Le
syndic Rigaud avait été élu, comme le colonel Dufour, par les beaux quartiers, mais
Saint-Gervais avait désigné les radicaux les plus avancés. Même si James Fazy, qui
se croyait populaire, apparaissait comme le plus mal élu de tous les députés, Antoine
Carteret, Viridet et Castoldi, considérés rue des Granges comme des extrémistes
dangereux, siégeaient avec lui.
    Tandis que ces représentants du peuple, désignés par le
suffrage universel, allaient préparer une nouvelle Constitution, qui ne serait pas
soumise à la ratification des citoyens avant l’été, la crise économique
débordait de la Fabrique et atteignait d’autres activités industrielles et commerciales.
Dans ce climat, les

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