Romandie
donnaient maintenant sans
réticence, prouvaient que le bohémien avait opté pour la vie sédentaire. Les
jours de marché, plus personne n’osait désigner Marie-Blanche comme la femme du
Jenisch depuis que Lazlo avait rossé d’importance un maraîcher mal embouché. Les
dernières méfiances de ceux qui prenaient tous les Tsiganes, sinon pour des
voleurs d’enfants, au moins pour des pilleurs de poulaillers, tombèrent quand, un
samedi, Lazlo et Marie-Blanche furent conviés à célébrer, dans la famille d’un
tonnelier, les fiançailles de la fille de la maison. Ce soir-là Lazlo dansa
avec toutes les femmes invitées, sans que personne y trouvât à redire.
La société veveysanne eût joui en toute bonne conscience de
l’alternance routinière et sereine du labeur quotidien et des simples plaisirs
domestiques, mode de vie auquel les Vaudois étaient fort attachés, si l’affaire
des couvents d’Argovie, que l’on croyait terminée, n’avait rallumé, entre
cantons catholiques conservateurs et cantons libéraux protestants, une querelle
devenue plus politique que religieuse.
La rotation, prescrite par le Pacte fédéral de 1815, entre
les trois cantons directeurs, Zurich, Berne et Lucerne, conférait à ce dernier,
depuis le 1 er janvier 1843 et pour deux ans, la fonction de
Vorort, c’est-à-dire la direction des affaires fédérales. Désormais, c’est à Lucerne
que se réunissait la Diète fédérale, dont le chef du gouvernement lucernois
était, de droit, président. Or, si Berne et Zurich, cantons « régénérés »,
étaient dirigés par des radicaux, Lucerne, qui s’était, par une
contre-révolution, débarrassé d’un gouvernement radical, venait de réintégrer
le camp des cantons conservateurs. Le clergé catholique avait repris, à Lucerne,
l’influence perdue, et le nonce du pape qui, sous le régime radical, avait dû
quitter la ville pour s’établir à Schwyz, avait regagné son évêché. Comme il
fallait s’y attendre, les délégués des cantons catholiques demandèrent, au
cours de l’été, que la Diète fédérale considérât à nouveau l’affaire des couvents
d’Argovie. La Diète extraordinaire de 1841 avait rendu un jugement de Salomon
en exigeant la réouverture de trois couvents de femmes, Fahr, Gnadental et
Baden, mais en se résignant, au mépris du Pacte fédéral, à voir les Argoviens
supprimer un couvent de femmes, Hermetschwil, et quatre monastères d’hommes, Muri,
Wettingen, Baden et Bremgarten.
Pour désamorcer une nouvelle querelle, le gouvernement d’Argovie
venait d’accepter, le 31 août, la réouverture du quatrième couvent de
femmes, mais s’opposait catégoriquement à autoriser la réouverture des monastères
d’hommes, considérés comme foyers de sédition antiradicale. La Diète, où les catholiques
restaient minoritaires, s’étant déclarée satisfaite, on avait rayé la question
des couvents d’Argovie de l’ordre du jour, au grand dam des opposants. Douze
cantons, représentant soixante-dix-huit pour cent du peuple suisse, s’étaient
prononcés pour la clôture d’un dossier qui n’aurait jamais dû être ouvert si le
Pacte fédéral avait été strictement respecté par tous.
Henri Druey, député du canton de Vaud, n’avait pas laissé
passer l’occasion de servir un de ces arguments ambigus dont il avait le secret
en proclamant : « Le radicalisme, tout en attachant un grand prix à l’observation
des formes, ne saurait cependant leur sacrifier le fond. Il reconnaît donc au
peuple le droit d’exercer sa souveraineté à chaque instant, comme il le veut, sa
volonté suprême ne pouvant pas être liée par la Constitution, qui est un acte
de cette volonté et non un contrat. »
Lors d’une des habituelles réunions du cercle Fontsalte, Axel,
évoquant cette prise de position de Druey, observa :
— Si la Constitution fédérale n’est qu’un chiffon de
papier, que les gouvernements cantonaux n’ont plus à respecter quand le peuple
en décide autrement, que représente désormais l’alliance confédérale ?
Charlotte de Fontsalte et Flora Ribeyre de Béran, catholiques
militantes, furent encore plus choquées par la désinvolture de la majorité de
la Diète. Elles approuvèrent la protestation des cantons catholiques, comme l’initiative
de M. Siegwart-Müller, le Lucernois, qui s’était rendu à Vienne pour signifier
au chancelier Metternich que les sept cantons catholiques
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