Romandie
conservateurs – Schwyz,
Uri, Unterwald, Zoug, Fribourg, Lucerne et Valais – avaient l’intention « de
se séparer des confédérés parjures à l’alliance et continuer à vivre à sept
sous l’égide du Pacte fédéral ».
C’était la première fois que les cantons non régénérés, et
qui ne souhaitaient point l’être, envisageaient une sécession, qui ferait
éclater la Confédération et risquait de provoquer un conflit européen, le
délégué des sept séparatistes ayant sollicité, disait-on, l’aide de l’Autriche
et de la France, en cas d’affrontements armés.
Axel tenta d’imaginer ce qu’aurait dit Martin Chantenoz devant
une telle menace. Il commenta cette situation avec Élise et tous deux tombèrent
d’accord pour reconnaître que les journaux des deux bords ne faisaient qu’attiser
la querelle et que l’article le plus sensé avait été publié par la Gazette
de Lausanne, sous le titre « Décadence de la Suisse ». Pour
Vuippens, qui lisait peu les journaux, Axel relut des passages de ce texte à
haute voix :
— « Deux partis divisent la Suisse, l’un et l’autre
invoquent la patrie et se plaisent à la tourmenter. Les uns, pour retenir le pouvoir,
se cramponnent aux fauteuils qu’ils occupent, sans s’inquiéter de l’ébranlement
que leur résistance peut causer dans l’État. Les autres embrassent la liberté
mais bientôt ils l’étouffent et la forcent à venir expirer dans leurs bras. Partout,
la religion se mêle à la politique mais c’est pour l’asservir. Un fanatisme
sombre énerve l’État et divise l’Église ; il aiguiserait au besoin le
poignard sur l’autel. On ne sait bientôt plus quelles voix il faut entendre, quelle
main doit vous garder. On paraît se plaire à opposer nos cultes l’un à l’autre ;
Rome à Calvin et le prêche à la messe. Le Directoire fédéral prend le nom de
Vorort catholique, et sa gazette officielle ne semble reconnaître que cette
confession, comme si tous, catholiques ou protestants, n’adoraient pas le même
Dieu et n’étaient pas les enfants d’une même patrie.
» Quelques journaux dégouttent l’injure et, oubliant
sans cesse leur mission de conciliation et de paix, ils irritent les passions au
lieu de les calmer. Le lendemain d’un combat, ils se traînent encore sur le
champ de bataille et s’ils rencontrent un charbon mal éteint, ils le ramassent
en souriant et le lancent pour ranimer le feu au milieu de la foule étonnée.
» Longtemps la Suisse a paru petite, parce qu’elle
était assise. Pourquoi faut-il qu’aujourd’hui elle ne puisse se mettre debout
sans affaiblir sa Constitution et ses mœurs ?
» La Suisse a-t-elle bien réfléchi où peuvent la
conduire de pareils éléments ? Oublie-t-elle que les mauvais jours peuvent
arriver pour elle, et qu’un peuple mal uni est toujours une proie facile ? »
— Martin aurait approuvé cette analyse et il nous eût
annoncé une guerre imminente entre les cantons, dit Vuippens, avec un sourire
teinté de nostalgie.
— Dieu fasse que la sagesse l’emporte et qu’on cesse
toutes ces rodomontades, avant qu’il ne soit trop tard, conclut Élise.
C’est dans ce climat de tension persistante qu’Axel, en l’absence
de Blaise et de Claude, partis chasser dans les Grisons, dut accompagner, mi-septembre,
à Genève, sa mère, Flora et Tignasse. Les trois femmes voulaient assister aux
funérailles de l’abbé Jean-François Vuarin, l’intrépide curé de Genève, mort le
8 septembre, à l’âge de soixante-quatorze ans.
Ce prêtre savoyard qui, dès 1799, disait en catimini la
messe à Genève, ce qui lui avait valu une lapidation et de nombreux déménagements
avant que le culte catholique ne fût imposé par la France impériale, jouait, depuis
la Restauration, un rôle important. Même si les protestants les plus sectaires
menaçaient les bambins dissipés d’appeler Vuarin, présenté comme le diable
papiste qui achetait les enfants pour les expédier en France, l’abbé Vuarin
imposait le respect. Intelligent, d’une moralité exemplaire et d’une droiture
jamais prise en défaut, l’ecclésiastique parlait franc et affirmait ses
convictions avec une âpreté et une véhémence qui l’avaient rendu antipathique à
de nombreux Genevois. Face à l’intolérance, il affichait une intolérance plus
grande encore et se montrait implacable dès qu’il s’agissait de défendre le
culte catholique, introduit à
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