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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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un demi-siècle de
plus que sa pupille, « dix fois l’âge de raison », lui avait fait observer
celle-ci en lui offrant la dernière création de Vacheron Constantin, une montre
en or, la plus plate – et la plus élégante par sa sobriété – réalisée
à ce jour par les cabinotiers de Saint-Gervais.
    Le cadeau des Laviron à leur fille adoptive avait été à la
mesure des consolations et du bonheur teinté de mélancolie qu’Alexandra leur
apportait, un tilbury arrivé d’Angleterre quelques jours plus tôt et un
anglo-arabe pour le tirer. Mais ce qu’attendait avec le plus d’impatience
Alexandra était le présent que ne pouvait manquer de lui faire son parrain. Elle
fut comblée et ne put retenir un cri de joie en ouvrant l’écrin qu’Axel lui tendit.
Il avait commandé lui-même chez Gallopin une pierre de lune birmane, montée sur
or blanc. Un pendentif pour jeune fille, certes, mais qu’elle reçut en femme.
    La réception du soir et le bal qui la prolongea plurent
autant aux aînés qu’à la jeunesse. Les vieux amis des Laviron, parents ou
grands-parents des garçons et des jeunes filles qui avaient répondu à l’invitation
d’Alexandra, apprécièrent qu’il se trouvât encore, rue des Granges, à Genève, une
famille où l’on savait recevoir avec la noble simplicité et les façons
raffinées qu’ignoreraient toujours les grimpions [169] .
    Alexandra se devait d’ouvrir le bal de ses vingt ans avec
son père adoptif, qui ne put, en la reconduisant à son parrain, dissimuler son
émotion.
    — Merci, mon ami, de nous avoir donné cette fille, dit-il
simplement, avant de se détourner pour essuyer, d’un revers de main, une larme
qu’il ne pouvait contenir.
    Au fil des années, Axel avait découvert que cet homme, rigoureux
mais pondéré, habile en affaires, expert en science bancaire et monétaire, était
aussi un humaniste dépourvu d’affectation. Intelligent et plus subtil qu’il ne
paraissait, peut-être à cause de sa stature massive et de sa coiffure démodée, Laviron
avait compris, avant la plupart de ses confrères, conservateurs craintifs, que
le monde et la société étaient en train de changer et que les gens de sa classe
devraient faire abandon de privilèges, parfois injustifiables, afin que de plus
modestes accèdent à une vie meilleure. Son engagement de 1841 dans l’association
du Trois-Mars lui avait valu quelques inimitiés. Il trahissait sa classe, avait-on
dit. Depuis, ses détracteurs avaient souvent fait amende honorable, avant de se
rallier aux libéraux modérés. Seuls des Genevois de cette trempe feraient
aboutir les justes réformes qui rendraient caduques les tentatives révolutionnaires
des Fazy et autres radicaux. Tout cela, Axel le rappela à Alexandra, pendant un
tour de valse.
    Les Métaz et les Fontsalte se retirèrent tôt, Élise et
Charlotte se disant fatiguées, mais Claude Ribeyre de Béran et Flora firent
partie du dernier quadrille. Le soleil se levait quand les dernières voitures
descendirent la rue de la Cité.
    Avant d’aller dormir, Alexandra fit atteler le tilbury dont
elle avait maintenant l’usage et, aidée de Zélia, y chargea les bouquets qui
lui avaient été envoyés la veille. Malgré les objections de la Tsigane, que l’absence
de Vuippens avait rendue morose, elle s’en fut seule au cimetière des Rois et
inonda de fleurs la tombe de Juliane.

4
    Au cours de l’été 1843, Axel Métaz passa de beaux après-midi
sur le lac, avec Vincent, à bord de l’ Ugo. À neuf ans, le garçonnet en
paraissait douze et affichait une vitalité que la vieille Françoise qualifiait
d’exténuante. Musclé, toujours gai, hardi, infatigable, il grimpait aux arbres
comme un écureuil, escaladait les murets tel un cabri. Insensible aux bosses et
aux égratignures, il allait, les genoux couronnés et des ampoules aux mains, sans
jamais se plaindre. Pernette tentait chaque matin, en trempant un peigne dans l’eau,
de discipliner sa chevelure brune et bouclée, afin qu’il fût présentable au
collège, d’où il revenait, deux ou trois fois par semaine, avec des punitions, pour
s’être battu pendant la récréation, avoir enfoncé de la mie de pain dans les
encriers ou libéré, en pleine classe, une demi-douzaine de souris capturées dans
les écuries familiales. Qui lui parlait de son regard vairon encourait des représailles.
S’il s’agissait d’un garçon de son âge, Vincent, qui avait lu Ivanhoé, proposait
un

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