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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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renseignements réunis par les fondés de pouvoir. Je lis des
journaux et des livres que ces gens ne lisent pas. Par mes amies musiciennes, je
fréquente, à Genève, des familles étrangères qu’ils ne connaissent pas et je
sais mieux qu’eux comment on fabrique le gaz de houille, en France, en
Angleterre, combien et quel genre de fils sont nécessaires pour faire
fonctionner un télégraphe électrique, tu comprends ?
    — Je comprends que tu crois ces messieurs ignares, or
ils ne le sont pas. Certains sont bibliophiles, d’autres fort connaisseurs en
agriculture ou construction de bateaux, Alexandra ! dit vivement Axel, trouvant
sa filleule outrecuidante.
    — Ils ne sont pas ignares, parrain, ils sont d’un autre
temps ! Tous ont plus de soixante ans. Leurs connaissances datent d’avant
la vapeur et la mécanisation des ateliers du textile. C’est pourquoi ils
restent méfiants devant les chemins de fer, dont les actions en France et en
Angleterre sont de bon rapport. Mais je te raconterai comment se passeront les
choses. Et ne sois pas inquiet pour moi. Ces messieurs savent que j’ai apporté
soixante-cinq mille livres à la banque. Une telle somme se respecte, dit
Alexandra en posant sur Axel un regard où se lisait, mêlée de commisération, la
tendre gratitude qu’inspiraient à la jeune fille les craintes de son parrain.
    À peine eurent-ils rejoint, dans le hall, les autres invités
rassemblés autour du buffet dans un brouhaha mondain, qu’Anaïs Laviron se précipita
vers sa fille adoptive.
    — Où étais-tu passée ? J’ai envoyé Zélia à ta recherche.
Tout le monde te réclame, viens.
    Alexandra, avec une mimique de résignation à l’intention de
son parrain, disparut dans l’assistance, où Axel retrouva Élise, les Fontsalte
et les Ribeyre de Béran. Aricie n’avait pas eu le cœur de faire le voyage et
Vuippens s’était décommandé, une de ses patientes se préparant à mettre au
monde des jumeaux. Axel, sans en rien dire à quiconque, trouvait Alexandra trop
sûre d’elle-même. Elle n’imposerait pas aussi aisément ses compétences
particulières et ses vues aux associés de Pierre-Antoine qu’elle avait imposé à
un homme ayant deux fois son âge un baiser amoureux.
    Le lendemain soir, les jeunes gens invités à la célébration
des vingt ans de M lle  Alexandra Laviron-Cornaz, dont on
rapportait qu’elle venait d’entrer dans la banque de son père adoptif, furent
tous charmés par la grâce de la jeune fille. Et cependant, la beauté d’Alexandra
ne se remarquait pas au premier regard. La plupart de ses amies, encore célibataires,
témoignaient de la robustesse du type helvète. Bien en chair, teint de pêche, avec
l’assurance que confèrent la naissance et la fortune, elles exhibaient toutes
les apparences de la bonne santé qu’entretiennent un climat sain, une
nourriture fortement lactée et ce qu’il faut d’exercice. Les marches autour du
Salève et les bains dans l’Arve, dès la belle saison, assuraient fermeté du
mollet, aisance du mouvement. On devinait, chez ces filles à marier, les
futures porteuses d’enfants, et les garçons, que ne transportaient pas des
passions morfondantes ou exclusives, trouvaient parmi ces demoiselles bien
dotées des épouses dociles et fidèles. On s’arrangeait pour qu’inclination, raison,
fortune se confondent et cela faisait d’excellents ménages et de beaux rejetons.
Auprès de ces filles, Alexandra, qui souvent les dépassait en taille, paraissait
sèche et plate, si plate qu’une de ses compagnes lui avait un jour conseillé de
bourrer sa brassière de boules de coton pour se donner des rondeurs artificielles
là où les naturelles faisaient défaut ! Elle avait ri et répondu qu’elle
se souciait peu de paraître ce qu’elle n’était pas. Ceux qui prenaient le temps
de l’observer lui trouvaient des traits d’une irréprochable régularité, un nez
fin légèrement busqué, un large front, des dents d’une blancheur éblouissante, un
regard gris-vert, mobile, franc, assuré. Le regard d’une femme que les hommes n’impressionnent
pas.
    Le matin de la célébration de ses vingt ans, tout avait
commencé par un office au temple de la Fusterie car, avait dit M me  Laviron,
« Dieu ne doit pas être absent de cette journée ». Un déjeuner avait
ensuite réuni les seuls intimes rue des Granges et l’on avait porté des toasts
à la jeune fille, mais aussi à Pierre-Antoine, qui comptait

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