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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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alpestres, peut-être n’acceptait-elle pas sans regret
la perspective de l’enfermement et de l’immobilité, dans l’étable proche.
    Les armaillis, héros du jour, portaient sur leur chemisette
blanche ou grise le bredzon bleu sombre, à manches courtes, soutaché de rouge, parfois
brodé d’edelweiss de laine blanche, la culotte de velours côtelé bleu et les
bas blancs. Ils avaient graissé au suif et fait reluire la boucle d’argent de
leurs souliers cloutés. On remarquait sur le fond des brotsés, seillons à
traire, qu’exhibaient quelques-uns d’entre eux, l’anse passée sur l’épaule
gauche, les motifs gravés au couteau les soirs où, dans la montagne, se faisait
plus pesante la solitude. Tous avaient coiffé la capette, calotte de paille ronde,
galonnée de velours noir à liséré rouge, surmontée d’un toupet de laine, que
les filles délurées pourraient effleurer, en échange d’un baiser, afin de
rencontrer un amoureux avant la prochaine poya ! Plus que les
tape-seillons, boisseliers ambulants, d’âge mûr et moins alertes, ou les
fromagers, qui brandissaient tel un sceptre le débatiau [33] , poli par l’usage,
les armaillis allaient, gaillards, la besace au côté, d’une allure dégagée. Hâlés,
musculeux, fiers, parfois barbus, saluant parents et amis, certains guettaient
l’apparition, au seuil d’une maison ou à une fenêtre, de la bonne amie ou de la
promise, dont ils espéraient ne pas avoir été oubliés. Les jeunes bovairons, aiguillon
sur l’épaule, cœur libre, gais lurons, facétieux et charmeurs, comptaient, eux,
sur le toupet de leur capette pour apprivoiser et conquérir celle qui, lors des
bals d’hiver, serait leur cavalière et peut-être un peu plus !
    Mais le jeu ambigu des désirs longtemps contenus et des
sentiments inexprimés que libérait la désalpe échappait heureusement à Alice
Chavan et à Alexandra Ruty. Les fillettes ne voyaient que la parade champêtre
colorée et sonore : les belles vaches empanachées, cravatées de rimos, larges
colliers décorés de motifs multicolores auxquels étaient suspendues les grosses
cloches d’acier ou de bronze dont le tintement s’entendait à une lieue, les
chaudrons de cuivre ventrus, d’une contenance de cinq cents litres de lait, astiqués
et basculés sur les chars, qui prenaient au soleil des reflets d’or, les
bizarres planches à mancherons, nommées oiseaux, nécessaires pour porter à dos
d’homme les meules de fromage cuites dans les chalets, les cuillères à crème au
long manche sculpté par les patients laitiers, les chiens, consciencieux
serre-files qui, chargés de maintenir un semblant d’ordre dans ce défilé bovin,
mordillaient au talon les bêtes prêtes à obliquer vers un abreuvoir.
    Déjà coquettes, Alexandra et son amie commentaient les
toilettes des jeunes paysannes. La plupart portaient une longue jupe de coton
bleu rayé de rouge, un corsage blanc à manches bouffantes, assez décolleté pour
que le petit corselet de velours noir au laçage serré exhaussât les seins, dont
les moins frileuses, car l’automne était frais, ne cherchaient pas à dissimuler
les rondeurs sous le châle que les mères avaient déjà sorti des armoires. Coiffées
du bonnet de laine bleu qui annonçait les froidures de l’hiver, ou encore
chapeautées de paille sur un fin bonnet de toile blanche à ailes tuyautées, coiffure
de l’été, elles allaient par deux ou trois, papotant et riant, jetant des
regards de sainte-nitouche aux garçons.
    Quand les armaillis, chanteurs reconnus, se rassemblèrent
sur la place, près de la fontaine, les cors des Alpes firent entendre leur
profond mugissement. Un silence quasi religieux, troublé par la seule sonnaille
des vaches remuantes, succéda soudain au brouhaha de la fête. Tout le bourg
attendait ce prélude aux célébrations intimes et familiales de la désalpe. Quand
jaillit des fortes poitrines des armaillis l’hymne des montagnards, le fameux Ranz
des vaches, dont l’audition avait si fort impressionné James Fenimore
Cooper en 1828, tous les cœurs se mirent à battre plus vite et l’on vit des
larmes d’émotion aux yeux des femmes.
    Même Alexandra et Alice se turent, saisies par l’ampleur et
la majesté de ce choral à la gloire des troupeaux et de leurs pasteurs.
    — C’est beau, que c’est beau ! dit Alexandra, prête
à reprendre le refrain.
    — On dit chez nous qu’on le chante depuis 1545, mademoiselle.
C’est la

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