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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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chanson des armaillis de la Gruyère, dit un vieil homme qui avait
entendu la réflexion de la fillette.
    — C’est beau mais ça donne presque envie de pleurer. C’est
doux et triste, remarqua encore Alexandra.
    — C’est bien vrai ! C’est si vrai, mademoiselle, qu’autrefois
les princes interdisaient aux soldats suisses, qu’ils employaient pour faire
leurs guerres, de chanter cet air les veilles de bataille.
    — Ils pensaient en effet que le Ranz des vaches provoquait
chez les Suisses le mal du pays et les poussait à déserter pour rentrer chez
eux, compléta Axel.
    — C’est même de l’effet provoqué chez nos mercenaires
par ce chant, dit-on, que serait venu le mot nostalgie, inventé par un médecin
suisse, le docteur Hofer, en 1678. Il avait si souvent constaté les effets du Ranz
des vaches chez les Suisses passés au service des étrangers pour gagner
leur vie, qu’il y vit une sorte de maladie du sentiment, expliqua le vieil
homme.
    Puis il ajouta, se tournant vers Axel :
    — Vous avez là, monsieur, une jolie fillette, bien
éveillée, bien sensible aussi, et qui ne demande qu’à s’instruire, dit l’homme
avant de s’éloigner, non sans s’être présenté comme régent [34] de l’école paroissiale.
    Pendant le repas – pommes de terre trempées dans du
fromage fondu et crème sucrée – que l’on prit à l’auberge, au milieu de
paysans bruyants, Alexandra et Alice exhibèrent leurs carnets de croquis. Elles
s’appliquèrent à compléter et à colorier les esquisses maladroites prises sur
le vif pendant le défilé des bêtes. Axel apprécia le sens aigu de l’observation
de sa filleule, dont les vaches montraient des mufles roses, des yeux marron
cernés de bistre, des pis gonflés telles des outres. Rien ne manquait, ni le
mouvement ni les guirlandes de fleurs étalées sur le frontal des laitières, ni
même la bave argentée qu’on avait vue aux babines des bêtes fatiguées. Alice s’était
plutôt intéressée aux armaillis et aux bovairons, qu’elle avait campés d’un
crayon de caricaturiste.
    Pendant le trajet du retour vers Vevey, les fillettes, enivrées
par l’air vif de la montagne, s’endormirent, Alexandra la tête dodelinant sur
la cuisse de son parrain, Alice blottie contre sa compagne. En débarquant dans
la cour de Rive-Reine à la nuit tombée, la petite Chavan, que sa mère attendait
en compagnie d’Élise, résuma la journée d’une phrase :
    — On s’est bien amusées… et maintenant, j’ai plus peur
des vaches !
     
    Les dernières semaines de grossesse conféraient à Élise Métaz
de Fontsalte – elle aimait user du nom complet d’Axel et encourageait ce
dernier à le faire – une sorte d’opulente majesté. Cambrée, le menton haut,
le regard lointain, elle portait son ventre avec une sorte d’ostentation et une
évidente fierté. À la voir marcher à pas comptés au cours de la petite promenade
que lui imposait, chaque jour, le docteur Vuippens, dérangé vingt fois la
semaine pour une crampe soudaine, une infime flatulence, l’absence de mouvement
pendant une heure de l’embryon, Chantenoz comparait Élise à une Catherine de
Médicis portant, à la fois, les trois rois [35] qu’elle avait
donnés à la France ! Vêtue de robes adaptées à son état, Élise accordait
beaucoup de soins à sa toilette et à sa coiffure. Jamais ses cheveux bruns n’avaient
été aussi souples, aussi longs et brillants, sa peau plus blanche, ses mains
plus soignées. Dès confirmation de son état par Vuippens, elle avait demandé à faire
chambre à part, réduisant ainsi un peu prématurément Axel à une continence qu’il
se fût lui-même imposée le moment venu. Élise avait justifié cet isolement par
souci, disait-elle, du confort de son mari.
    — Vous travaillez beaucoup, vous devez donc prendre un
repos régulier et complet. Vous ne devez pas souffrir et devez même ignorer les
petits troubles nocturnes inhérents à mon état. Ils interrompent parfois mon
sommeil et je ne voudrais pas que le vôtre en fût gêné.
    Comme Axel allait évoquer, avec l’humour un peu acide qu’il
tenait de son mentor, la part de responsabilité qui lui revenait, elle avait
ajouté avec un sourire :
    — Je ne vous en aime pas moins, au contraire.
     
    La fermentation du vin nouveau devant se prolonger jusqu’à
la seconde quinzaine de novembre et Samuel Fornaz étant attentif à la
température des chais qui ne devait pas

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