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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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imposé
la Réforme au canton de Vaud, Châtel-Saint-Denis, gros bourg cossu, serré
autour des ruines de son château du XIII e  siècle,
recevait, à l’occasion de la désalpe, quantité de curieux venus des environs et,
même, des voyageurs anglais, depuis peu appelés touristes.
    — N’oubliez pas de prendre vos carnets de croquis et
vos crayons de couleur, car vous verrez de près la reine des vaches couronnée
de fleurs, les armaillis [28] et les bovairons [29] ,
dit Axel aux fillettes, au moment de faire atteler son cabriolet.
    Une grossesse avancée interdisait à Élise un parcours de
près de cinq lieues en voiture. C’est donc seul avec Alexandra et Alice qu’Axel
prit, au petit matin du 9 octobre 1834, jour de la Saint-Denis, le chemin
de Châtel. Dans le Moyen pays et la Gruyère, l’automne est souvent, comme au
bord du Léman, une saison lumineuse. Après le raidillon conduisant de Vevey à
Saint-Légier, la route, empierrée, parallèle au cours de la Veveyse, montait, au
pied des monts de Corsier, entre les prairies, seuil mamelonné des Préalpes
vaudoises. Les fillettes, maintenant bien éveillées, ne cessaient de s’ébaubir
d’un décor montagnard d’où le lac familier était absent. Tout leur paraissait
différent, les gens et les maisons. Sous leur toit à pans coupés et pignons à auvents,
de grandes fermes, aux murs de planches sur soubassement de molasse, semblaient
coiffées de barques retournées, carènes en l’air. Au passage du cabriolet, les
chiens, abandonnant la garde des troupeaux ou jaillissant des cours, se
lançaient en aboyant à la poursuite de la voiture. Axel les éloignait des
jambes du vieux Ténèbre qui, apeuré, dressait les oreilles et fouettait
rageusement de la queue. Quand l’équipage veveysan croisait un char de paysan, une
chaise de poste, un cavalier pressé ou un colporteur marchant bon pas, Alice et
Alexandra se dressaient et, de leur voix fluette, lançaient des saluts et des
souhaits de bon voyage, comme si ces inconnus étaient en route pour les
Amériques. En cette contrée catholique, la rencontre d’un curé en robe noire et
chapeau plat déclenchait leur rire. Elles s’étonnaient de ne point voir de
vignes, poussaient des exclamations devant les meules de gruyère empilées sur
un char et refusaient de croire qu’il s’agissait de fromage, comme l’affirmait
Axel. Puis, lasses et le feu aux joues, elles adoptaient des poses de
princesses en promenade, se prenaient la main et demandaient toutes les trois
minutes si on arrivait bientôt.
    Après un dernier lacet, le cabriolet déboucha dans la rue
principale de Châtel-Saint-Denis, achalandée comme un matin de foire. Bien qu’on
fût un jour de semaine, les gens s’étaient endimanchés pour faire honneur à
ceux qui revenaient dans leur village, après plus de quatre mois passés dans la
montagne, seuls avec les bêtes. Partis dès le 15 mai, date de la poya ou
du remuage [30] ,
les troupeaux étaient montés parfois jusqu’à mille huit cents mètres dans les
à-premiers [31] , où se
trouvaient les chalets des bouviers. Dès fin août, ils avaient amorcé leur descente
vers le Moyen pays, passant d’un pâturage à l’autre, pour venir brouter, au bas
des pentes, le troisième regain des prés fauchés au cours de l’été. Aux
premières neiges, les laitières retrouveraient, pour un long hivernage, la
tiédeur des étables, sous les granges pleines de fourrage odorant.
    — Ne vous approchez pas des bêtes, car toute cette
agitation sur leur passage peut les affoler et les rendre mauvaises, dit Axel
en posant à terre ses deux passagères, prêtes à se faufiler à travers les curieux
pour être au premier rang des spectateurs.
    Déjà, une grande sonnaille de cloches et de toupins [32] annonçait l’approche des troupeaux, rassemblés par les bovairons et les
propriétaires, à distance du bourg.
    — Si vous me perdez de vue, nous nous retrouverons
devant la fontaine, sur la place. Nous irons dîner à l’auberge, cria Axel aux
fillettes.
    Bientôt apparut la reine des vaches, une pure et grasse
simmental, dont la robe lustrée, d’un jaune rosé, les pis lourds et ballants, indiquaient
la bonne laitière. Les cornes enrubannées et parées de fleurs, elle allait
seule, en tête du cortège, indifférente aux clameurs, le mufle humide, mélancolique
et dodelinant de la tête. Après avoir connu les grands espaces, l’air frais des
cimes, les gras herbages

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