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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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descendre au-dessous de treize degrés, Axel
Métaz pouvait consacrer tout son temps aux affaires. Il possédait la plus
importante flotte lacustre du district : quatre grandes barques, la Charlotte, la Juliane, la Veveyse, la Lisa, auxquelles il fallait
ajouter l’ Étoile filante, la vieille barque de Guillaume Métaz, et deux
cochères, la Rapide et la Prudente. Les bateaux Métaz livraient
non seulement les pierres, indispensables aux chantiers de Genève, Nyon, Morges
et Lausanne, mais aussi les bois de construction qu’il fallait charger à
Villeneuve, les vins, les fromages et tous les produits de la terre, de l’industrie
naissante et de l’artisanat, rassemblés à Vevey, premier centre commercial du
canton. Régis Valeyres, homme de confiance, secondait Axel avec efficacité, tenait
les comptes, réglait la rotation des bateaux, surveillait l’exploitation des
carrières de Meillerie, de Grandvaux, d’Agiez et de Montcherand, d’où l’on
tirait pierres taillées, grès, calcaire et tuf.
    Axel avait décidé de consacrer les dividendes de ses
participations financières dans les bateaux à vapeur Winkelried et Léman à la construction d’un yacht rapide. En sacrifiant à une mode lancée depuis peu
par les riches familles genevoises, il se doterait d’un voilier moderne et
confortable qui lui permettrait de naviguer pour son plaisir. Depuis des
semaines, il fignolait les plans avec le vieux bacouni qui l’avait initié à la
navigation sur le Léman, Pierre Valeyres, grand-père de Régis. Sans le soumettre
à quiconque, même pas à Élise, Axel avait déjà choisi le nom de son yacht : Ugo, en souvenir de son ami vénitien, le comte Ugo Malorsi. Cependant, Axel
devrait attendre, pour ordonner la construction de son bateau, que fût achevée
une cochère commandée par un transporteur lausannois. Car le chantier Métaz et
Rudmeyer, dont il avait tenu à maintenir la raison sociale, ne manquait jamais
de commandes.
    Chaque mois, Axel portait à son banquier et ami genevois, Pierre-Antoine
Laviron, la recette de ses entreprises, à laquelle s’ajoutaient les sommes
produites par les ventes de vin, d’huile lampante – extraite du colza
récolté sur ses terres d’Hauterive –, les loyers de ses entrepôts de l’Aile
et du grenier à grains du bourg aux Favre, construit par Guillaume lors de la famine
de 1817.
    — Mon cher enfant, vous êtes aujourd’hui un entrepreneur
riche, disait Laviron avant de proposer des placements dans les chemins de fer
anglais ou français en regrettant les tergiversations des gouvernements
cantonaux, qui ne savaient s’il convenait ou non de construire, en Suisse, des
voies ferrées.
    De toutes ses possessions, le vignoble restait, pour Axel, le
plus authentique, le plus précieux des biens. Belle-Ombre, la vigne de sa mère,
la mieux située, la plus belle, la plus généreuse, une des plus vastes de la
commune de Chexbres, couvrait deux cent cinquante toises, soit une demi-pose ou
un quart d’hectare. Avec les vignes des Paluds et la Grand’vigne, en tout cinq
poses et six cents toises, le vignoble Métaz couvrait au total près de trois
hectares, ce qui faisait d’Axel un des plus gros vignerons de Lavaux.
    Pour les Vaudois, la vraie richesse, comme la véritable
noblesse, vient de la terre. La discipline exigée par les travaux saisonniers, qui
en assurent et stimulent la fécondité, constitue une règle de vie ancestrale. Et
puis, du vignoble émane une poésie élémentaire, mystique, masquée, que le
vigneron le moins sensible ressent mais dont tous dissimulent l’expression, autant
par respect humain que par orgueil. Car le premier précepte de la morale vaudoise
est de ne pas chercher à se distinguer des autres, alors que chacun estime, en
son for intérieur, qu’il mériterait de l’être ! Les Vaudois sont des
Latins, dont la rigueur calviniste a bridé l’exubérance et le lyrisme. Mais qu’on
fournisse à ce peuple, au sens civique développé, le prétexte d’une célébration
patriotique ou d’une fête pastorale et il libère sa nature débonnaire, sa joie
de vivre.
    Ceux qui, tel Axel Métaz, avaient succombé, un temps, à des
passions furieuses, éprouvaient en rentrant dans le rang un rare bonheur de
conscience. Rasséréné par son mariage avec Élise et la perspective d’une proche
paternité, Axel se faisait un délice secret de ses nostalgies interdites et
revenait à ses enclos de mémoire comme le pèlerin

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