Sachso
gibet et on nous oblige à bien regarder notre infortuné camarade… »
Le 17 octobre 1943, le kommando prend ses quartiers définitifs dans le camp tout neuf terminé à quatre cents mètres de l’usine où s’achèvent également les derniers travaux d’aménagement. Maintenant, à l’exception d’un chantier, à droite de la route de Spandau, où sont construits des logements pour les travailleurs civils étrangers de Demag, la quasi-totalité des détenus est intégrée à la production de guerre. Ils subissent des tests, suivent ce que les Allemands appellent pompeusement des « cours d’apprentissage accéléré » de tourneur, fraiseur, ajusteur… Leur nombre augmente. Ils constituent bientôt presque le quart des dix mille ouvriers travaillant jour et nuit dans les ateliers et sur les chaînes, en deux équipes de douze heures.
Cette nouvelle utilisation des concentrationnaires, malgré les aléas bien souvent volontaires qu’ils imposent aux rythmes et aux normes de fabrication, entraîne des changements qui se conjuguent avec ceux qui découlent de la nouvelle installation du kommando. La vie est toujours très dure (et elle se détériore gravement à la fin de la guerre) mais, dès cet automne 1943, elle est néanmoins plus supportable que dans l’enfer de Staaken.
À l’intérieur de la double enceinte de barbelés électrifiés qui court entre quatre miradors d’angle, les quatorze blocks en dur alignés sur deux rangées perpendiculaires à une allée centrale sont mieux aménagés. Ils prennent la moitié de la superficie du camp, l’autre moitié étant réservée à la place d’appel, flanquée à droite de l’entrée par le bâtiment de la Schreibstube, à gauche par les cuisines, les douches et le poste de transformation du courant électrique.
Le tournant dans le régime intérieur de Falkensee est préparé dès Staaken par le long et dangereux travail de quelques communistes allemands pour écarter des responsabilités intérieures du kommando les bandits qui le terrorisent. Christian Mahler est l’un de ces courageux antifascistes. Il lie contact avec des Français et s’attire aussi bien la confiance des communistes que des gaullistes. Dès le premier transfert de Staaken en juillet, il tient sa promesse, au block 1 dont il est le chef, de rassembler les Français dans deux chambres : René Doury est responsable de l’une, Léon Bronchart de l’autre. Il en est de même au block 2 avec Marcel Aubourg et Jean Barnechea.
Léon Bronchart sait que les difficultés ne sont pas toutes aplanies : « Mais une vie nouvelle s’organise avec le concours de tous. Les colis commencent à arriver, plus de long trajet à faire matin et soir, ce qui nous laisse davantage de temps pour faire connaissance les uns les autres à travers le camp. Par les récits des camarades des autres blocks, nous nous rendons compte que le block 1 est une oasis dans ce bagne. Il faut remonter le moral, tenir, tenir.
« Nous nous réunissons quand nous le pouvons. Les deux chambres des Français du block 1 deviennent des foyers d’attraction pour les autres Français du camp. Nous organisons des moments récréatifs où les meilleurs chanteurs, Aubourg, mon fils, d’autres, nous ramènent vers la nostalgie du pays ; il y a aussi des discussions, des conférences ; comme tout ceci est verboten (défendu), c’est seulement dans nos chambres qu’il est possible de le faire, du moins d’en courir le risque. Un groupe de solidarité est créé entre nous ; nous prélevons sur chaque colis qui nous arrive une petite part que nous distribuons à ceux qui ne reçoivent rien ; que c’est dur, cela : les colis, c’est la vie… »
L’organisation des Français progresse encore en octobre, avec l’installation dans le camp en dur. Hélas, Léon Bronchart n’en est plus témoin. Au rassemblement du 11 novembre 1943 – le jour de son quarante-septième anniversaire –, il est appelé et séparé brutalement de son fils, de ses camarades. Un camion cellulaire le conduit à Sachsenhausen. Deux officiers des services de sécurité nazis l’interrogent : un rebondissement de son affaire en France. Le 14 septembre, avec soixante-neuf ouvriers mineurs du Nord-Pas-de-Calais, il part en transport de représailles pour Buchenwald et fait partie des quatre cents premiers détenus qui ouvrent le kommando souterrain de Dora.
Noël 1943 symbolise la « remontée » des Français. Tous se
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