Sachso
partir de 1943, date d’arrivée des premiers Français, qui apprennent avec effroi comment leur bagne est né à l’automne 1939.
Le point de départ est la décision des S. S. d’édifier au bord du canal une briqueterie leur appartenant en propre, rattachée à la Société D. E. S. T. qu’ils ont fondée en 1938 pour fournir, avec la main-d’œuvre concentrationnaire, les matériaux de construction nécessaires aux projets de Hitler. Pour bâtir cette usine de la D. E. S. T. (Deutsche Erd-und Steinwerke : entreprise allemande de terres et pierres), il faut d’abord abattre des arbres, transporter les troncs, défricher et aplanir le terrain, creuser une darse pour le chargement et le déchargement des péniches…
Deux mille cinq cents détenus de Sachsenhausen doivent exécuter tous ces travaux au pas de course, car le kommando est classé « disciplinaire » par les SS. Tous les soirs, trente à quarante morts sont ramenés au grand camp. Nombreux sont les suicides ; à bout de forces, des malheureux courent vers les gardes qui les abattent pour « tentative d’évasion ».
De cette période infernale ne subsiste plus, en 1943, que le travail dans la carrière d’argile ( Tongrube ). Antoine Faure, pour son malheur, y est affecté. À sept heures du matin en hiver, six heures en été, un petit train à voie étroite emmène son chargement de prisonniers, entassés sur des wagons-plate-forme éclairés par des projecteurs et encadrés de wagons de S. S. à l’avant et à l’arrière. Après un trajet d’une heure et demie, un nouvel appel précède la distribution des pelles, bêches, pioches… Une partie des détenus sort la glaise de la carrière, l’autre la charge sur des wagonnets dont les cinq cents kilos sont poussés par trois hommes jusqu’à un broyeur.
Sur la voie inégale, les wagonnets déraillent souvent. Il faut les remettre en place d’un coup de rein pendant que les coups de gummi et de manche de pioche pleuvent sur les épaules, généreusement distribués par les Vorarbeiter. Quant aux S. S. ils se distraient d’une autre façon. Ils jettent au bas de la pente raide de l’entonnoir creusé sur cinq ou six mètres par les excavateurs le béret d’un détenu et ordonnent à ce dernier d’aller le rechercher. Lorsque le malheureux essaie de gravir la pente glissante, ils lâchent leurs chiens pour « aider » à la remontée, s’amusant des chutes et des morsures…
C’est de cette glaise traîtresse que l’usine tire d’ailleurs son nom. Klinker, en allemand, désigne une argile pauvre en chaux mais contenant 5 à 8 % de fer, qui donne des briques jaunâtres d’une grande résistance.
Les impératifs de la guerre réduisent toutefois et transforment les plans gigantesques rêvés par les S. S. pour Klinker.
De l’immense rectangle de 850 mètres sur 500 tracé à l’origine, la briqueterie n’occupe que le quart. Des malfaçons entraînent des retards dans sa mise en service et son programme initial de vingt-quatre fours ne sera jamais achevé. D’autre part, en 1942, une moitié de l’usine est affectée à l’industrie de guerre et l’on y fabrique des grenades de Panzerfaust.
C’est donc une singulière briqueterie que les Français découvrent en pénétrant dans l’énorme bâtiment. La première travée est l’atelier d’usinage des grenades. Quatre chaînes sont prévues, mais deux seulement fonctionnent en 1944 avec de nombreuses machines, des tours Maserati notamment, provenant du pillage des usines de l’Italie du Nord après le 25 juillet 1943 et la chute de Mussolini.
Ensuite, à droite, ce sont les Trockenkammern, chambres de séchage des briques, sortes de longs couloirs de deux mètres de large et 2,50 mètres de haut, dans lesquels stationnent encore quelques rares wagonnets de briques crues. Au centre, un grand hall, avec un pont roulant, sert d’aire d’attente ou de stockage. À gauche, les fours de cuisson des briques utilisés aussi pour la recuite des grenades sont alimentés deux par deux par un générateur de chaleur Deutz, espèce de haut-fourneau vertical tournant lentement sur son axe.
La surveillance du travail est assurée par des contremaîtres civils allemands, reconnaissables à leur brassard noir frappé des lettres gothiques blanches D. E. S. T. La garde des kolonnen est confiée soit à des Waffen S. S. blessés, qui passent là leur convalescence, soit à de vieux sous-officiers de
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