Sachso
l’est de Berlin, Bad-Saarow est un point stratégique dont l’importance augmente au fur et à mesure des progrès de l’offensive soviétique vers la capitale du Reich. Sensiblement à mi-chemin entre l’Oder et Berlin, il est à proximité de l’autoroute Berlin-Francfort sur l’Oder et du nœud ferroviaire de Fürstenwalde reliant Berlin aux frontières de Pologne et de Tchécoslovaquie. C’est pourquoi, en 1944, Hitler décide d’y enfouir une annexe du Grand Quartier général qui puisse servir éventuellement de lieu de repli à son État-major en cas de bombardements trop intenses sur Berlin et de poste de commandement pour la défense des approches de la capitale. De gigantesques travaux de terrassement et de bétonnage sont nécessaires. Ils doivent rester secrets. La main-d’œuvre est donc puisée en priorité parmi les esclaves du camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen. Un camp-annexe est créé à Bad-Saarow et l’un des premiers Français à y entrer est Ernest Vannier, d’Elbeuf, expédié là à titre disciplinaire pour son « mauvais travail » à l’usine Heinkel.
Le kommando acquiert vite une très mauvaise réputation. Il n’est pas grand : ses barbelés flanqués de quatre miradors ceinturent un terrain rectangulaire d’un hectare environ, sur lequel il n’y a que six baraques (quatre pour les hommes, une pour la cuisine, une pour le Revier et le dépôt d’outils) et un abri pour les lavabos et les W.-C. Mais les S. S. et les bandits « verts » leur servant d’auxiliaires maintiennent sous une terreur constante l’effectif composé surtout de Russes et de Polonais, d’une trentaine de Norvégiens, de quelques Yougoslaves et Français.
Les Norvégiens sont les seuls à échapper le plus souvent aux coups, aux corvées les plus pénibles et aux brimades les plus humiliantes. Le fait qu’ils reçoivent régulièrement des colis de la Croix-Rouge suédoise n’y est pas étranger. Biscuits, chocolat, cigarettes leur permettent de soudoyer les détenus responsables du camp : de Hans, le Lagerältester, aux petits Vorarbeiter. Ils obtiennent ainsi une aile de la baraque n° 1 pour eux seuls, avec une cloison de séparation. On ne peut y entrer qu’avec leur autorisation et certains Français y sont quelquefois invités, bénéficiant d’une soupe supplémentaire ou d’une friandise sortant de l’ordinaire.
À la table 6 de ce même block 1 de Bad-Saarow, le menu est loin d’être le même pour Robert Baur et ses camarades.
Robert Baur, de Thionville, fait partie du convoi des « 84 000 » . Il débarque à Bad-Saarow au début de juillet 1944 avec une trentaine de Français, qui ont transité comme lui par Neuengamme et Sachsenhausen. Il lie connaissance avec Honoré Molinari et Marinelli, des voisins de table qui l’ont précédé ici depuis plusieurs mois et le mettent au courant du régime très dur du camp, en particulier dans le kommando de travail du nouveau Quartier général, appelé Fuchsbau (le terrier du renard). Or, dès le lendemain de son arrivée, Robert Baur est affecté, avec la plupart de ses compagnons, au chantier du Fuchsbau , à deux kilomètres de Bad-Saarow, deux kilomètres à parcourir en colonne matin et soir :
« Dès que nous sommes sur place, les S. S. se déploient, à trente mètres l’un de l’autre, formant une chaîne tout à l’entour de notre zone opérationnelle…
« Il s’agit d’une construction énorme de plusieurs centaines de mètres de long : un tunnel en arcs voûtés d’une hauteur de cinq à six mètres et dont les parois sont en béton armé d’une épaisseur de deux mètres.
« L’emplacement choisi se situe entre deux collines. Au fur et à mesure de l’avancement du gros œuvre, le tunnel est recouvert d’une dizaine de mètres de terre apportée des collines que l’on arase. Cette terre est à son tour recouverte d’un mètre de béton puis l’on ajoute encore une hauteur de terre et une dernière couche de béton…
« L’opération terminée doit permettre d’aplanir les lieux, supprimer les collines, modifier la topographie du site, offrir ainsi une meilleure sécurité et un refuge plus sûr aux dirigeants du Grand Reich. »
Du personnel civil, trié sur le volet, met en place les coffrages, installe les équipements. Mais les tâches les plus pénibles incombent aux déportés. Déjà affaiblis, exténués, il leur faut se presser, se presser sans cesse, comme
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