Sachso
wagons à bestiaux pour une destination inconnue. Après un dur voyage, nous découvrons que c’est l’île d’Usedom qui s’étire dans la Baltique d’une rive à l’autre de l’estuaire de l’Oder.
« Immédiatement, nous sommes dirigés vers le camp de Karlshagen, voisin du Centre expérimental de Peenemunde. Là est le cœur de la recherche des armes nouvelles du Grand Reich. On y met au point les V1, V2, les fusées volantes “Cascade d’eau” et “Typhon”, des canons, des mitrailleuses et des torpilles, tous engins dont les essais se font sur place.
« Les détenus de Karlshagen effectuent les gros travaux : tranchées, canalisations, pistes, etc. En effet, dans cette île la plus secrète et la mieux protégée d’Allemagne, les nazis veulent éviter la moindre fuite et contrôler efficacement ceux qui voient de près ces armes étranges dont ils imaginent la puissance destructrice. »
C’est seulement après guerre qu’on parlera beaucoup de Peenemunde et de l’un de ses chercheurs, Werner von Braun, qui poursuivra ses travaux aux États-Unis et deviendra le père des fusées américaines. Pour l’instant, Peenemunde demeure une base ultra-secrète, sauf pour l’état-major allié, bien renseigné, qui la fait bombarder durant l’été 1944. Les dégâts sont importants. D’où l’appel à des renforts de main-d’œuvre de Sachsenhausen pour accélérer la remise en état.
Karlshagen ne diffère en rien des camps classiques, constate Bob Pujol : « Construit dans une forêt de pins, il abrite, semble-t-il, un millier d’hommes de diverses nationalités. Les Français, pour la plupart du Nord, y tiennent une bonne place et l’on note la présence de nombreux Alsaciens-Lorrains.
« Karlshagen est placé sous la main de fer du Sturmbannführer S. S. Baumgartner et d’une bande de Vorarbeiter noirs et verts.
« Personnellement, j’appartiens à un kommando de terrassement ne comprenant que des Français. Il est dirigé par l’élégant Waldemar, bandit d’honneur qui cambriola — paraît-il – la Gestapo de Berlin et dont le passage dans la Légion étrangère a fait un ami de la France et des Français, chose assez rare au camp. Il est pour beaucoup dans notre survie sur cette île sinistre.
« Non seulement il nous faut supporter les coups et les sévices des S. S. et de leurs auxiliaires, mais encore nous avons à affronter les assauts du climat terrible de cet hiver 1944-1945. Les glaces de la Baltique, les vents et les tempêtes d’une violence inouïe qui balaient le terrain d’aviation, la brume épaisse et froide, nous obligent à piocher ferme pour nous réchauffer et à enfiler des sacs de ciment vides en guise de sous-vêtements.
« Nous appelons cet endroit l’île du Diable et nous avons vraiment l’impression de vivre dans un autre monde. Jusque-là, nous n’avions pas encore entendu le bruit fantastique du départ d’un V2 : maintenant, la fumée qui jaillit de la forêt, à quelques centaines de mètres, nous remplit de crainte. Cette vision apocalyptique de l’arme nouvelle, cette puissance qui fait trembler la terre sous nos pieds, nous plongent dans un gouffre d’anxiété.
« Les départs des V1 sur leurs rampes de lancement, le vol du premier avion à réaction fixé sous le ventre d’un bombardier, les essais de fusées de petite taille pas toujours maîtrisées – l’une tue un gardien sous nos yeux –, tout contribue sous un ciel livide à saper le moral des détenus ivres de fatigue, affamés et gelés. La mortalité grimpe de façon effrayante, les suicides sont nombreux… »
Pourtant, des hommes continuent de lutter. Jusqu’à la mort, comme ces deux déportés qui s’emparent d’une barque dans le petit port de Peenemunde, et tentant de gagner la côte, sont rattrapés, ramenés au camp et abattus. Jusqu’à la liberté reconquise, comme ces dix prisonniers soviétiques qui réalisent sans doute une des plus sensationnelles évasions de la guerre, sous les yeux de Bob Pujol :
« En ce matin du 8 février 1945, sur la place d’appel de Karlshagen, un kommando de dix hommes se tient à côté du mien. Nous le connaissons bien, car nous aimerions en faire partie. Chargé du camouflage des avions sur le terrain de Peenemunde, son travail est moins pénible que le nôtre. Nous le suivons jusque sur le terrain d’aviation où il s’éloigne vers les appareils pendant que nous reprenons nos
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