Sachso
à dos avec des tricots et des chaussettes :
« En enfilant une chaussette, je sens quelque chose à son extrémité. Stupéfaction, c’est mon chapelet ! Impensable, et pourtant réalité. Je ne comprends pas…
« À mon arrivée à Neuengamme, comme tout un chacun, j’avais remis mes habits et mes chaussures pour être empaquetés par je ne sais qui. Je n’avais certes pas pu mettre mon chapelet dans une de mes chaussettes, d’autant que celles-ci se trouvaient dans mon sac à dos et que mon chapelet, comme d’habitude, était dans la pochette gauche de mon blouson.
« Que s’est-il passé ? Je l’ignore. Qui l’a mis de la poche de mon blouson dans une de mes chaussettes ? Mystère ! Est-ce quelqu’un, détenu ou civil, chargé d’effectuer le tri des lainages ? De toute façon, il ne peut s’agir que d’une personne qui, comme moi, a la Foi et garde espoir… »
Noël 1944 est de même auréolé d’un éclat inespéré. Trois jours auparavant, Robert Baur est averti par le commandant de Bad-Saarow qu’il est convoqué le lendemain à la Politische Abteilung de Sachsenhausen. D’habitude, ce n’est pas bon signe, et l’inquiétude du Thionvillois redouble quand, à sa descente du camion au grand camp, on le conduit à un block où les S. S. prélèvent peu après des hommes de corvée pour le crématoire en vue de l’arrivée, dit-on, d’enfants et de femmes juives. Mais le lendemain, au début de l’après-midi, il respire et reste interloqué :
« Je dois prendre livraison de colis de la Croix-Rouge destinés aux Français de Bad-Saarow.
« D’après les détenus français qui me les remettent, il s’agit de colis envoyés d’Algérie par le gouvernement De Gaulle et qui transitent par les services de la Croix-Rouge suisse. Tous les Français y ont droit sur la base d’un demi-colis de cinq kilos environ pour chacun.
« N’ayant pas en tête le nombre exact de mes compatriotes au kommando de Bad-Saarow, je prends ce que l’on me remet. Si j’ai bonne souvenance, je charge dix-huit colis dans le camion des S. S. qui me ramène.
« Je suis émerveillé devant ces colis, et en même temps je suis pétrifié devant la mission de responsable qui m’incombe. Je me mets à rêver, puisqu’à cette date de l’année il est permis de rêver, même dans un camp de concentration. Je me prends pour le Père Noël… toutes proportions gardées ! Durant quelques heures – la durée du trajet –, j’ai l’impression de sentir revivre en moi une chaleur humaine empreinte de fraternité et d’amour. Hélas ! je rêve et le portail d’entrée du kommando me rappelle à la triste réalité.
« Le commandant me fait entreposer les colis dans la Schreibstube, à une extrémité du block 1 et je me couche non sans faire part de mon aventure à l’ami Molinari, mon voisin de lit, et aux autres camarades, tout étonnés de me revoir. »
« Le 24 décembre au soir, après le retour de l’ Arbeitkommando Fuchsbau, alors que je brûle d’impatience, je suis appelé à la Schreibstube. En présence du commandant S. S. et du Lagerältester Hans, on me remet la liste des Français du kommando avec mission de procéder à la répartition des colis. La joie que j’éprouve personnellement et celle de mes camarades est indescriptible : ce colis ne représente certes pas grand-chose, mais il faut vivre cet instant pour comprendre combien ce petit quelque chose est apprécié par des affamés. Les visages émaciés, cadavériques, soudainement s’illuminent et une lueur d’espoir y renaît. Bientôt des chansons de chez nous s’élèvent, repoussant pour quelques heures nos soucis, nos contraintes. »
En janvier 1945, la situation à Bad-Saarow commence à évoluer plus favorablement et plus durablement. Les Norvégiens sont regroupés à Sachsenhausen et le kommando se vide aussi d’une partie des S. S. et de leurs auxiliaires envoyés sur le front russe. Ils sont remplacés par des soldats de la Wehrmacht, plus âgés ou blessés, que l’on revêt de l’uniforme S. S. La discipline est toujours de rigueur, mais à un degré moindre.
Les Français du Fuchsbau apprennent ainsi à connaître un de ces « nouveaux S. S. » : un jeune Lorrain, originaire de Basse-Ham (Moselle), incorporé de force dans la Wehrmacht et blessé à Cassino, en Italie. Sur le chemin du chantier, il marche à leur hauteur et, en français, les informe de la situation militaire.
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