Sachso
camions où les infirmiers apportent les plus handicapés sur des civières. On ne les revoit plus.
« Nous pouvons toutefois faire un contrôle, car au secrétariat du Krankenbau, l’administration allemande ne perdant jamais ses droits, il y a certains de ces transports enregistrés, comme nous le rapportent des camarades employés à ce bureau : les Luxembourgeois Paul Muller, René Trauffler et ce cher Ferdinand Nepper, qui sera assassiné dans la nuit du 1 er au 2 février 1945.
« Ces camarades reçoivent les cartes de chacun des malades avec la mention “mort en transport”. Si la carte arrive le soir même ou le lendemain, c’est que le malade est passé à la chambre à gaz du camp. Si la carte arrive une ou deux semaines après, c’est que la mort a eu lieu dans des wagons fermés assez longtemps pour qu’on n’en retire que des cadavres.
« En 1943 et 1944 ces transports se font environ tous les quatre mois. De janvier à mars 1945, ils se succèdent à une cadence accélérée, tant pour le Revier que pour le camp. Au total, une vingtaine de milliers d’hommes sont ainsi évacués vers Bergen-Belsen, Buchenwald, Mauthausen, Neuengamme, etc. »
Entre le 2 et le 9 février 1945, les S. S. sont particulièrement pressés de faire de la place et ils expédient les malheureux sélectionnés directement au crématoire du camp, non sans avoir monté une infâme mise en scène que dénonce le docteur Coudert :
« Une liste des malades inguérissables avant trois mois est dressée.
« Une camionnette (fourgon cellulaire) vient en prendre livraison, par groupe de vingt, soi-disant pour les conduire à la gare. Le véhicule est sous l’autorité d’un adjudant-chef et de quelques S. S. que nous ne connaissons pas, car ils viennent d’Auschwitz. Mais la disposition du camp nous permet de suivre le trajet de la voiture.
« Elle franchit bien la grande porte, mais tourne aussitôt à droite sans passer la deuxième enceinte. Au lieu du chemin de la gare, elle prend le chemin de la chambre à gaz et nous suivons des yeux sa progression, là devant nous, à quelques mètres, son toit dépassant de peu le mur qui clôture le camp. Une demi-heure plus tard, le temps effectivement nécessaire pour un aller et retour à la gare d’Oranienburg, la voiture revient prendre un nouveau chargement, et ainsi de suite.
« En une semaine, sept cents à neuf cents malades, la plupart tuberculeux, sont exterminés de la sorte. »
LA RAGE DE VIVRE ET LA CHANCE
L’esprit s’étonne que des hommes aussi affaiblis aient réussi à sortir de l’enfer des Reviere et des Blocks-Schonung. Quel ressort secret animait leurs corps souffrants ? Quel hasard miraculeux les sauva de justesse ? Quelle aide inattendue reçurent-ils ?
La chance joue au Revier comme dans l’ensemble du camp un rôle primordial. Une circonstance infime peut réduire à néant les possibilités de survie d’un individu ou au contraire le tirer du gouffre. À condition aussi que l’intelligence et la volonté soient encore assez intactes pour tirer parti de l’occasion qui s’offre.
Jean Caubit, du kommando Falkensee, est entré deux fois au Revier de Sachsenhausen. La première fois, on l’a vu, sa présence d’esprit et l’aide d’un médecin norvégien ont dévié la trajectoire de la seringue meurtrière. La deuxième fois, sa volonté farouche de survivre, sa rage de vivre, explique seule qu’il se soit sorti d’une situation désespérée : « Installé sur une paillasse pleine de poux, je lutte un mois contre la mort. Je suis tellement mal en point que je n’arrive plus à manger ma soupe. Je la rends dans ma gamelle, mais je la remange ensuite, peu à peu, car je veux tenir, je veux revoir mon petit Francis, ma femme, mes parents. »
Guy Ducos, durant l’hiver 1943-1944, échappe de justesse à une « sélection » dans un Block-Schonung : « Des officiers S. S. et des médecins choisissent les plus faibles pour les envoyer en transport de liquidation. Étant donné le nombre des malades, l’opération est longue, mais je vois la commission se rapprocher peu à peu de moi. Soudain, j’entends appeler mon numéro de la cabine du chef de block. Je bondis et j’y trouve le chef de l’aile où je couche qui me tend un petit colis envoyé par ma mère. J’en profite, avec sa complicité, pour m’en retourner non pas à ma place mais dans l’autre aile, qui avait déjà été visitée par
Weitere Kostenlose Bücher