Sachso
barbu rouquin. Or, il est maintenant tondu et rasé et de surcroît ses courts cheveux repoussent bruns, car ils étaient teints.
Les F. T. P. découvrent combien leurs rangs sont éclaircis. Nombre des leurs ont été fusillés après les condamnations des tribunaux militaires nazis. Combatifs, ils vérifient le comportement de chacun de leurs hommes, dans l’action passée et face aux interrogatoires renforcés de la police et des juges-bourreaux. Puis ils reforment leurs groupes de combat, recueillent des renseignements sur l’intérieur du camp, étudient le rapport des forces et la tactique à suivre dans les nouvelles conditions. Rapidement, Jean Szymkiewicz, que tout le monde n’appelle que Petitjean, et dont la mémoire est prodigieuse, assume la responsabilité de l’organisation militaire reconstituée sous l’égide du Front national, où coopèrent communistes et d’autres patriotes.
Les membres des réseaux gaullistes, de « Combat », de « Libération », etc., ou les agents rattachés aux services britanniques, ont aussi leurs liaisons. Ils se regroupent soit par connaissance nouée dans leurs organisations, soit selon les arrestations au cours d’une même affaire, soit le plus souvent par région pour s’être retrouvés et reconnus dans la même prison. Les agents du service de renseignement français recherchent le contact avec les plus actifs, tout en se gardant de la moindre confidence. Quant aux jeunes, capturés au passage des frontières, ils se regroupent d’instinct avec les aînés dont ils ont partagé les cachots et dont ils ont apprécié le courage et la solidarité affectueuse.
Dans les rangs lors des appels, le soir dans les blocks avant le couvre-feu, les militants s’affairent, transmettent les premières directives élaborées après de vives discussions. Les questions fusent, pressantes. Qui commande ici ? Pourquoi les chefs de block courent-ils aux ordres des S. S. ? Pour les « verts », on le comprend, mais les « rouges » ? Va-t-on se laisser frapper, matraquer, insulter, sans réagir ? Pourquoi pas des groupes d’action pour corriger vigoureusement ceux qui nous briment ?
Il faut calmer ceux qui s’affolent ou s’abandonnent au désespoir comme ceux qui s’emportent. Tenter de se faire respecter sans violence, d’obtenir la justice dans les distributions de soupe et de rations que des yeux affamés et vigilants voient souvent détournées par les autorités du block. Il faut aussi remettre en place quelques « gamellards » qui se révèlent. Au block 16, un « malabar » frontalier de Moselle, charpentier en fer arrêté depuis peu, grâce à sa force physique et à sa connaissance de l’allemand, se propose comme Stubendienst. Il tente de faire la distribution à son profit, à coups de poing et à coups de louche. Aux observations, il répond : « Ma gueule d’abord. » Il est exclu de la communauté française et menacé de représailles s’il continue à frapper. Le chef de block, un politique allemand qui comprend un peu le français, discrètement informé, lui retire sa fonction.
D’autres chefs de block, sans se compromettre, enseignent la solidarité dans les faits, tel celui de la baraque où le Bayonnais André Franquet est témoin de deux événements significatifs le jour même de son arrivée et le lendemain :
« Il y avait avec nous deux gars qui, depuis Compiègne, ne s’étaient pas dessaisis de gros colis. Avant la désinfection, le chef de block qui parlait français les avertit : “On va vous les prendre, confiez-les moi, je vous les rendrai après.” Il prend les paquets et les leur rend le soir. Mais il remarque qu’ils ne partagent rien avec personne ; alors il reprend à nouveau les colis et leur assure cette fois une destination plus collective…
« Par contre, le lendemain soir nous voyons arriver Pierre Saint-Giron, qui nous avait précédés au camp depuis juillet 1941 et avait appris la présence de compatriotes de Bayonne dans les nouveaux arrivants. Il apportait deux gamelles de soupe dénichées je ne sais où. “Eh ! les copains de Bayonne, partagez-vous cela !” dit-il aux quatre ou cinq que nous étions. Quelle aubaine et quelle leçon d’entraide… »
Quand les Français connaîtront mieux l’histoire antérieure des camps, ils pourront comprendre, sans l’admettre, l’attitude de certains Allemands. Pour l’instant, il faut survivre, donc s’adapter. À priori,
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