Sachso
amicales autant que réchauffantes, hochements de tête et clins d’œil font frémir les mornes alignements des rayés. »
Par la mise en fiche avec prise d’empreintes et photo, les S. S. veulent donner l’impression que nous sommes tous individuellement repérés, sans possibilité d’échapper à leur contrôle rigoureux dans le camp ou même à l’extérieur dans le cas d’une improbable évasion. En fait, nous n’en sommes pas encore sûrs, mais la Kartothek (fichier général du camp), bien que sous le contrôle direct d’un S. S. et de la Gestapo, est gérée par les détenus de la Schreibstube où, malgré la prééminence momentanée des « verts », sont placés des hommes de confiance du comité international, tels que le jeune communiste Heinz Junge et le démocrate-chrétien luxembourgeois Pierre Grégoire. Ils jouent une partie extrêmement dangereuse avec un courage sans faille et une astuce décuplée par la conscience du danger mortel qui les menace, et surtout par la volonté de tout faire pour sauver le maximum de camarades. Entre les appels et les marches forcées de la quarantaine, de petits groupes d’entrants vont à la politische Abteilung (section politique). Chacun passe devant un secrétaire également détenu qui inscrit nom, prénoms, âge, nationalité, religion, profession, motif d’arrestation. Le conseil venu des mineurs est d’avoir une profession manuelle mais avec une bonne qualification et d’ignorer le motif de son arrestation. Il faut cependant avoir une liaison directe avec le comité clandestin, car les mineurs, s’ils se montrent fraternellement solidaires, observent sans s’engager, tenus par des consignes de prudence. La répression qui vient de décapiter le comité allemand n’est pas apaisée et celui-ci a prescrit le silence. Désirat se risque pourtant : « Arrêté comme militant communiste », déclare-t-il à son vis-à-vis de la politische Abteilung, un Luxembourgeois qui ne bronche pas. Mais le renseignement, s’il ne figure pas sur la fiche, sera transmis au comité, qui fera une enquête de plusieurs mois.
Entre-temps, la répartition des hommes dans les divers kommandos et camps annexes a scindé les premières formations clandestines ébauchées. Avec un fort contingent d’ouvriers hautement qualifiés et bien organisés, Charles Désirat, ancien dirigeant du Secours populaire, part pour Heinkel, ainsi qu’une importante équipe de techniciens et ingénieurs, pour la plupart gaullistes, dont René Bourdon, Alphonse Lavieville, André Louis, Philippe Pouch… Au grand camp, le noyau communiste reste groupé autour de François Bagard, un vieux militant parisien, de Raymond Labeyrie, un jeune du Pays basque, d’Émile Lafaurie, des Compteurs de Montrouge, de Marcel Rogé, un ferronnier de Saint-Dié repris après une évasion à Nancy. Les gaullistes se retrouvent avec Louis Péarron, de « l’Armée des volontaires », et ses compagnons René Houlbert, Georges Vachellerie, Marcel Voisin, etc.
LE PAIN DES ÂMES, LE PAIN DES CORPS
Les prêtres, avec l’abbé Hartemann, aumônier des étudiants catholiques de Nancy, les abbés Henri Dupont, de Tours, et Augustin Berteau, de Bourges, s’efforcent de réunir leurs fidèles pour l’exercice du culte bien qu’il soit interdit, pour le soutien moral et aussi pour la solidarité matérielle entre tous les Français dignes de ce nom.
« J’ai trouvé Raymond Labeyrie », dit Guy Acébès, arrivé fin avril 1943, « parce que je courais après les Bayonnais et que j’étais avec lui à l’École supérieure. On le voyait souvent avec des camarades allemands, il était aussi en rapport avec l’abbé Dupont et cela m’éclaira sur l’activité souterraine au camp. Un de mes amis, Émile Lafaurie, qui avait des difficultés pour rendre visite à des hospitalisés du Revier, résolut son problème en s’adressant à l’abbé Dupont pour y aller ensemble. Que ce soit les communistes, les catholiques, c’est la foi qui les a sauvés, parce qu’ils croyaient à quelque chose, chacun à leur façon.
« Par exemple, l’abbé Dubernet, un ami d’Ustaritz, à quinze kilomètres d’Hasparren où j’habitais, et qui faisait partie de mon convoi, réussit à se procurer des hosties et à donner la communion à Noël 1943 et à Pâques 1944 à plusieurs Basques, parmi lesquels Jean Bidonde et moi-même. Ce fut un grand bien pour nous autres mais je ne sus que plus tard
Weitere Kostenlose Bücher