Sachso
pieds avec des chaînes et Louis Quesnoy, entre autres, gardera toujours ses chevilles labourées de cicatrices profondes. Quant à Paul Dubois, un S. S. lui fracasse un jour le genou d’un coup de crosse, ce qui est le début de longues et douloureuses complications. En 1943, le docteur Coudert évitera une amputation, mais plus tard Paul Dubois perdra sa jambe.
PREMIÈRES ADAPTATIONS
Le 25 janvier 1943, par -26°, arrivent de Compiègne deux « transports » (matricules de 57 000 à 59 000) qui, avec ceux qui les suivront jusqu’en 1944, vont constituer une formation de résistance française autonome, laquelle entrera progressivement en contact avec le comité international existant. C’est l’histoire de cette résistance française, en réalité très complexe, que feront ressortir les témoignages recueillis ici. Pourquoi cette complexité ? Parce que les liaisons entre les Français sont différentes selon la composition des groupes qui restent au grand camp ou sont envoyés dans les camps-annexes ; qu’elles dépendent aussi des conditions particulières de vie et de travail rencontrées ; qu’elles dépendent également de la position de la « direction » détenue (politique ou droit commun). Après la répression d’octobre 1942, la direction au camp est ainsi passée entre les mains des « droit commun », mais un comité clandestin s’est regroupé autour de Max Reimann, Max Opitz, August Baumgarte pour les Allemands, le major Pigorov et Peter Schuchkin pour les Soviétiques, Antonin Zapotocky, Jaromir Dolansky pour les Tchèques, Lewandowski et le tout jeune Zbigniew Misiewicz pour les Polonais, etc. En certains endroits, la liaison avec ce comité international sera assurée par des représentants des groupements du collectif français, en d’autres elle se fera par le truchement de contacts individuels. Il faut donc décrire cette résistance chronologiquement mais aussi dans l’espace, au grand camp et dans les grands kommandos extérieurs.
Un fait est constant : face au danger, la solidarité est un réflexe instinctif. Chaque Français individuellement se sent profondément patriote et veut aussi vendre chèrement sa peau. Rares seront ceux, même parmi les « droit commun » qui n’auront pas à cœur de déjouer les plans de l’ennemi, c’est-à-dire tenter de survivre et saboter au maximum. Plus rares encore ceux qui, pour une gamelle de soupe, une planque, ou par crainte de la mort, se livreront au mouchardage, à la délation verbale ou écrite auprès de l’encadrement S. S. C’est cette tenue générale des Français qui leur vaudra finalement, dans l’opinion des quelque cinquante mille détenus de différentes nationalités rassemblés à Sachso, la place qu’ils méritent. Car, si les mineurs français, groupe homogène de combattants arrêtés et déportés en pleine bataille contre les kollabos et l’envahisseur nazi ont gagné l’estime des dirigeants du comité international, cette place ne nous est pas acquise d’emblée dans l’esprit de tous. Tout le contexte politique d’avant-guerre nous est reproché. Bref, il faut faire nos preuves et nous faire respecter, car ici toute faiblesse est mortelle. Les défaillances des camarades les moins solides dès le début de la quarantaine imposent une adaptation rapide : se tenir les coudes, prendre contact avec l’organisation que l’on devine.
Ceux qu’on appelle les « 58 000 » sont très divers. Quand d’autres contingents arriveront, ils seront de plus en plus groupés, compte tenu des progrès de l’union de la Résistance en France. Pour ceux de janvier 1943, ce n’est qu’une perspective ardemment souhaitée. Il y a là des anciens de Compiègne, longtemps gardés comme otages après leur livraison aux occupants, parfois enfermés depuis la répression anticommuniste de 1939, que la lente corrosion de plus de trois années d’incarcération, a un tant soit peu « rouillés » mais qui font vite face avec tous devant le danger. Les communistes se sont formés à chaque étape du chemin de la déportation en groupes de trois, articulés en pyramide. C’est-à-dire que l’un des trois participe au trio de l’échelon supérieur et ainsi de suite jusqu’au triangle du sommet. Malheureusement, le sommet de cette pyramide est introuvable en janvier 1943 à Sachsenhausen ! C’est Lucien Arnouil, un cheminot décrit à Charles Désirat au moment du départ de Compiègne comme un
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