Sachso
comment savoir si tel chefaillon qui vous bouscule à grand renfort de moulinets de bras et de gueulements est dans la tradition des « caïds » des prisons ou s’il tente de vous éviter l’intervention directe du S. S. qui pourrait être dramatique. Les mineurs survivants de 1941 vont nous aider. En accord avec le comité allemand, ils viennent dans les blocks de quarantaine :
« Un soir, au block, nous voyons entrer deux détenus qui n’ont pas riche mine, dit Louis Voisin. Ils se font connaître, ce sont deux mineurs du Pas-de-Calais, Gérard Neuville et un autre, blond, plus athlétique, dont j’ai oublié le nom. Ils s’enquièrent de notre provenance, des motifs de nos arrestations, etc. Nous leur faisons part de notre volonté de ne pas travailler pour l’ennemi. “Ne dites pas cela”, répondent-ils, d’autres l’ont tenté, ce serait un sacrifice inutile. Ici, cent mille hommes ne comptent pas. Il faut faire semblant de travailler, “avec les yeux”, comme on dit ici. “Ne pas se faire prendre à ne rien faire, avoir toujours l’air occupé et surtout développer au maximum l’entraide, la solidarité entre tous.” – Nous sommes atterrés : “Pas moyen de saboter, alors ?” – “C’est un bien grand mot, ce n’est pas toujours possible et cela demande une organisation dont vous n’avez pas idée”. D’autre part, nos camarades politiques allemands travaillant à la Schreibstube savent que votre convoi est composé essentiellement de résistants. Ils nous ont promis de faire tout leur possible pour sauver le maximum de vies françaises.” – “Mais comment ?” – “En veillant à ce que vous soyez dirigés vers de bons kommandos.” – “Ça existe ?” – “Mais oui, car malheureusement il y a des kommandos d’où on ne revient pas.” »
Ces interrogations mutuelles, ces conseils recoupent ce que Désirat a appris de Léon Boulissière, dès le soir de l’arrivée. Cette prise de contact rapide était due à « Milo » Pattiniez, syndicaliste lillois connu des mineurs, évadé de la prison de Loos et, repris en même temps que Désirat à Nancy.
Tout cela relance les discussions. Quelle attitude prendre vis-à-vis de l’administration par les détenus ? Et surtout vis-à-vis du travail qu’on va nous imposer ? Faut-il faciliter la besogne de nos gardes-chiourmes S. S. en nous prêtant à l’auto-administration ? Faut-il refuser carrément le travail pour l’ennemi ou le saboter en sous-main ? D’instinct, les plus bagarreurs parmi les derniers arrêtés, les jeunes qui n’ont pas connu les âpres batailles syndicales et encore moins l’expérience terrible des camps, proclament « Ne pas participer à l’administration ! Il faut vivre sur l’ennemi ! Refuser en bloc de travailler ! »
« Réfléchissez, répliquent les dirigeants clandestins, c’est l’auto-administration, certes créée par les S. S. mais utilisée par les militants allemands, qui a permis la survie maximum même si, pour le moment, la direction est entre les mains des “verts”. Vivre sur l’ennemi se ferait ici au détriment des autres détenus. Il s’ensuivrait une bagarre entre nationalités qui ne profiterait qu’aux nazis. Ce n’est évidemment pas notre but, et d’ailleurs nous ne ferions pas le poids. Quant au travail, le refuser ouvertement c’est vouer les plus déterminés à la mort. Les plus faibles, courbés par la répression, céderont à la force. Nous avons parmi nous une élite d’ouvriers professionnels capables de créer, donc de détruire intelligemment avec le minimum de risques pour la vie de tous. Pour les “fonctions”, ce ne sera pas une question de débrouillage individuel qui devra prévaloir, mais l’intérêt qu’elles présentent pour la collectivité française ; il faudra donc l’accord de l’organisation. »
Avant même que ces principes puissent être mis en application, un événement, attendu par tous ceux qui ont pu suivre le développement de la lutte gigantesque menée à l’est, va élever le moral, renforcer l’espoir. L’aube glaciale d’un jour de février 1943 se levant sur le camp éclaire les drapeaux nazis en berne. « Nous apprenons ainsi », dit Louis Voisin, « les journées nationales de deuil pour Stalingrad. C’est un immense éclat de rire, de jubilation, parmi nous qui grelottons sur la place d’appel. De fait, les visages exsangues et émaciés sont hilares. Bourrades
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