Sachso
n’a pas de ceinturon et me regarde d’un sale œil. Il a été puni et va à la prison d’Oranienburg. Son officier a-t-il jugé qu’il y a eu faute ou celui-ci veut-il donner un gage aux détenus allemands ? En tout cas, Oskar Wenzel ne m’abandonne pas. Ayant appris pendant mon séjour au Revier que le S. S. se vengerait sur moi à mon retour, il intervient auprès de ses camarades de la Schreibstube de Sachso et je ne reviens pas à Falkensee, je vais à Heinkel. » L’abbé Émile Lavallart, curé d’un petit village de la Somme, se dépense de son côté pour soutenir ses frères dans la rude épreuve qu’ils traversent. Sa foi l’entraîne à toutes les audaces. Sous les pieds des bagnards de la kolonne 7, il y a un souterrain formellement interdit en dehors des alertes où il sert d’abri. C’est pourtant là qu’un jour il fixe rendez-vous à Bernard Poncet pour lui donner la communion. Bernard Poncet sait lui aussi le danger de cette rencontre mais il n’hésite pas : « Je rejoins donc l’abbé mais ça ne dure pas trente secondes ! Au moment où j’ouvre la bouche pour recevoir le pain béni, j’entends et aussitôt je vois arriver vers nous “la Danseuse”, dangereux criminel armé de son gummi… Impossible de faire retraite ou de camoufler quoi que ce soit. Il est déjà sur nous avant que s’achève notre geste. Il marque un temps d’arrêt, nous regarde, puis très vite, il poursuit son chemin comme s’il n’avait rien vu. »
L’abbé Émile Lavallart avait refusé en juillet 1944 de rester à Sachsenhausen au block des prêtres et s’était fait enregistrer comme « professeur » afin de partager le sort de ses compagnons envoyés à Falkensee. Des souvenirs communs d’André Quinton, Maurice Thuillier, Roland Picart permettent de retracer son courageux apostolat :
« L’abbé Lavallart, mis en confiance par la cordialité et la loyauté des Français du block 2 où il est affecté, ne tarde pas à manifester le désir d’exercer clandestinement son ministère. “Falkensee sera ma paroisse”, nous dit-il. C’est alors une véritable chaîne d’entraide qui s’organise et il faut dire que parmi ses maillons, laïques et athées ne sont pas les derniers à rivaliser d’astuce pour réaliser le souhait de leur nouvel ami…
« Des contacts sont pris avec des civils de l’usine et, par cet intermédiaire, des prisonniers de guerre peuvent toucher un aumônier militaire qui pâment à faire passer un missel et des hosties…
« Quelle victoire pour l’abbé Lavallart, quatre mois après son arrivée au kommando de Falkensee, de pouvoir enfin célébrer sa première messe ! C’est le dimanche 5 novembre 1944… Dans l’abri enterré entre les blocks 2 et 4, une vingtaine de Français attendent recueillis… Une planche simplement posée sur deux morceaux de bois, c’est l’autel… Un quart, c’est le ciboire… Une boîte à cigare : la custode… Et, comme au temps des premiers chrétiens des catacombes, dans des conditions aussi précaires, un humble prêtre, un Français en costume zébré de bagnard, va célébrer la première messe dite au camp, sur cette terre d’Allemagne hitlérienne… Dans cet enfer, un homme apparaît qui apporte la parole de paix et d’amour…
« Mais alors qu’au fond de l’abri des hommes sont tout entiers à leur foi, en haut, à la surface près de l’entrée, se tient un groupe de Français qui interdit l’accès aux personnes indésirables. Ces Français, pour la plupart des laïques, montent, comme dit savoureusement un syndicaliste parisien, un “piquet de grève” ! En tout cas, c’est une magnifique leçon de fraternité et de tolérance donnée dans le danger et dans l’épreuve…
« Tous les dimanches, sans interruption, l’abbé Lavallart dira la messe à ses “paroissiens” de Falkensee… À la Noël 1944, après la cérémonie, tous se retrouvent au block 2 et c’est notre camarade Lucien Piron, un militant communiste qui, pourvu d’une jolie voix, entonne le “Minuit chrétiens” d’Adam, au milieu d’une assistance émue de camarades de toutes opinions et confessions…
« Quelques semaines plus tard, le premier dimanche de Carême, le 18 février 1945, l’abbé Lavallart devait dire sa dernière messe. Atteint depuis janvier d’un phlegmon, il s’affaiblissait de jour en jour et c’est trop souvent qu’il passait sa soupe à de jeunes camarades déficients…
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