Sachso
apprennent à se connaître, apprennent à connaître les cuistots étrangers, nouent des liaisons discrètes avec les responsables français des blocks… Là encore l’expérience de la vie clandestine et la cohésion des communistes allemands, français, espagnols et autres facilitent les rapports. Un système se met en place que décrit José Carabasa :
« Sur proposition de Frédo Rey, nous convenons de distribuer nos suppléments aux plus handicapés selon les indications fournies par les responsables de la solidarité dans les blocks. Étant le seul Espagnol à la cuisine, je m’occupe plus particulièrement de mes compatriotes. Mais nous marchons tous la main dans la main. Tous les soirs, après l’appel, des agents de liaison viennent à notre block récupérer nos casse-croûtes du jour. Nous avons tous décidé de laisser notre portion complète du soir pour augmenter la part allant à la solidarité. La nuit, notre estomac vide nous réveille parfois mais nous ne nous plaignons pas. Nous savons qu’au matin nous aurons des pommes de terre et de la soupe, ce que n’ont pas nos camarades travaillant dans les halls… »
Ceci confirme ce que beaucoup savent au camp mais que certains ignorent. La solidarité des cuistots français de Heinkel n’est pas faite au détriment de la collectivité mais c’est le sacrifice de nos camarades qui l’alimente, à quoi s’ajoute tout ce qu’Aimé Hechinger soustrait, au péril de sa vie, à la cuisine des S. S. Faut-il ajouter enfin que, sur ces neuf camarades, Fredo Rey fut envoyé en punition à la Strafkompanie de Sachsenhausen pour son activité résistante, que quatre sont rentrés tuberculeux à la libération, que tous ont souffert des mêmes carences que les autres rescapés, qu’Aimé Hechinger succomba peu de temps après son retour dans le petit village de Niederhergheim, ses reins meurtris s’étant peu à peu nécrosés ?
Mais ce dévouement qui contribue à sauver de nombreuses vies se révèle impuissant en quelques rares cas. Des hommes comme Raymond Cantel, qui poussent le rigorisme à l’extrême, ne veulent rien recevoir, affirmant sans autre explication qu’ils réprouvent « la récupération sur l’ennemi ». Même à la veille de mourir de pleurésie (tous les jours il se lave entièrement nu et, bien que sous-alimenté, pratique la culture physique y compris par -20°), Cantel refuse le viatique de la solidarité !
Bien placés aux cuisines, les Français de Heinkel ne le sont pas dans cet autre bastion pour la survie et la résistance qu’est le Revier. Ils ont certes un compatriote qui y est médecin. Malheureusement ils ne peuvent guère compter sur lui. Sans doute est-il influencé par les deux morticoles étrangers déjà en place, plus trafiquants de soupe que disciples d’Esculape, mais il faut que les cuisiniers – toujours eux – lui donnent de la « soupe blanche » pour obtenir une intervention en faveur d’un Français. Et lorsque les colis arriveront, l’argument pour faire entrer au Revier Heinkel les Français les plus malades deviendra la boîte de sardines, le chocolat et surtout le paquet de gauloises !
En novembre 1943, le comité allemand de Sachsenhausen, informé de la situation, profite de la réorganisation du Revier du grand camp pour faire muter ces médecins peu recommandables. Il envoie à Heinkel une bonne équipe sanitaire, parmi laquelle l’infirmier Jacques Placet. Le groupe de la cuisine, en accord avec l’organisation de Heinkel, continue d’agir au Revier, mais cette fois pour les malades, comme le constate Placet : « Les cuisiniers français, belges, espagnols nous fournissent casse-croûtes, soupes S. S., légumes frais, en quantités qui aujourd’hui paraîtraient dérisoires, mais sauvent alors la vie de nombreux hospitalisés… »
Face aux petites manœuvres sordides de quelques égoïstes, l’entraide de la majorité des Français est source de réconfort en ces dernières semaines du dur hiver 1942-1943. Il faut se contenter des moyens du bord mais à bien des tables chacun donne une cuillerée de soupe pour augmenter la ration d’un jeune, d’un affaibli dont l’organisme endure plus mal les privations. Ces gestes sont ineffaçables pour Bernard Sidobre : « Je n’avais que dix-neuf ans et j’ai eu la chance d’être pris en charge par des camarades plus âgés que moi » ; pour le jeune Marcel Suillerot, soudeur au hall 3 : « Toutes ces
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