Sachso
nécessaire à la chauffe… avec du chocolat et d’autres friandises de France. Cette soupe spéciale se fait un dimanche avec tous les ingrédients que les responsables de block nous apportent le samedi. Une liste récapitule les noms des donateurs et les quantités fournies mais celles-ci ne pourraient jamais suffire à une distribution générale. C’est alors qu’Aimé Héchinger entre en action et que les prélèvements opérés sur les stocks des S. S. vont jusqu’à doubler la mise. Nous pouvons ainsi donner à chaque block un supplément de soupe bien épaisse qui prend aussitôt le nom de “soupe des Français”… »
Cette initiative, qui n’est pas sans danger, resserre autour des Français l’amitié et l’estime des autres nationalités. Elle s’inscrit dans une tradition internationaliste que précisément le Vorarbeiter adjoint de la cuisine Heinkel, Willy Remmel, ancien des Brigades, avait inauguré le 14 avril 1943. Il avait organisé et favorisé ce jour-là le rassemblement de tous les Espagnols du camp et de leurs invités, dans un block fermé, pour célébrer le douzième anniversaire de la fondation de la République espagnole !
Durant deux ans, jusqu’au bout, l’élan de la solidarité des Français de Heinkel ne faiblit pas. En novembre 1944, dans le contingent des « 117 000 » venant des forteresses de Silésie, Marcel Le Bastard l’apprécie vivement :
« Parmi les Français du block, je retrouve un gars d’Epinay-sur-Seine où je vivais avec mes parents avant la guerre, Kléber His… Plus âgé que moi d’une douzaine d’années, plus ancien dans ce camp (il y est depuis février 1943 !), il me manifeste une amitié sincère et profonde, une sorte de besoin de protéger celui qu’il considère comme un gosse… Avec ses autres copains français, ils font un geste dont la grandeur, l’abnégation, ne peuvent être comprises que par ceux qui ont eu faim… pas de ces petites faims de la vie coûtante qu’il vaudrait mieux appeler appétit, mais une vraie faim… chronique !… aiguë ! Qui vous ronge » qui vous détruit… Une faim qui vous ramène à la moitié de votre poids et qui, lentement, inexorablement, vous condamne à mort. Eh bien, ces camarades de chez Heinkel, qui sont aux prises depuis deux ans bientôt avec cette faim-là, ils se privent de colis Croix-Rouge, gages de survie, arrivés pour eux, et nous les distribuent !
« Bien sûr, ils ne sont pas gros, ces colis. Répartis entre tous les arrivants, cela représente un kilo par tête. Mais quelle satisfaction aussi bien physique que morale de manger quelque chose d’autre que l’ordinaire et en supplément ! Il n’y a là que des conserves ou des denrées non périssables. C’est difficile à répartir. Certains reçoivent un kilo de sucre, d’autres un kilo de chocolat. Moi, j’hérite d’une boîte d’un kilo de confitures d’oranges (mes préférées !)… Et pas question de faire durer ces bonnes choses, car, la faim régnant, tout tend à disparaître… C’est ainsi qu’une heure après avoir reçu notre part de colis, nous n’en avons plus que les emballages et le souvenir… mais quel souvenir ! »
Conformément au vœu de ses initiateurs de février-mars 1943 l’entraide française continue de s’ouvrir à tous sans distinction, même avec les moyens sans cesse amenuisés par l’approche de la débâcle. Elle se manifeste pour les survivants de la révolte du crématoire d’Auschwitz avant qu’ils soient exécutés une nuit de la fin 1944 à la Spritzerei (l’atelier de peinture de Heinkel). Des Français recueillent quelques tout jeunes enfants juifs, habillés en rayé, qui avaient été amenés avec ce groupe dont un seul membre a pu être sauvé par le comité allemand de Sachsenhausen lors de son passage au grand camp : le Roumain Alexandre Buican, vieux compagnon de Lénine, qui a combattu dans la Résistance en France et que les S. S. soupçonnent, en raison de son passé, d’être l’instigateur de cette insurrection d’Auschwitz. Quand, peu après, des juifs de Budapest sont parqués au hall 8, de jeunes Français se portent volontaires pour pénétrer dans l’enceinte interdite et apporter au péril de leur vie le pain et l’eau collectés pour ces malheureux.
UN BULLETIN QUOTIDIEN PENDANT VINGT-DEUX MOIS
Autant que du besoin de solidarité, les Français de Heinkel ressentent le besoin d’être informés, d’être bien
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