Sachso
témoignage de Lucien Treiber, Vosgien arrêté en Tunisie avec son camarade Roger Maran :
« En 1943, j’ai connu un véritable héros. Roger Maran, marin de commerce originaire de la région bordelaise, était un type tout simple. Il était jeune, aimait les femmes, aimait tout le monde ; en bref, il aimait vivre. Je le savais courageux, dur à la souffrance. Diverses missions dangereuses accomplies pour la Résistance me l’avaient démontré. Mais je ne le croyais pas capable d’aller jusqu’au sacrifice volontaire, pourtant…
« Ce jour-là, sur la piste d’essai des chaussures de Sachsenhausen qui vit s’user plus de vies humaines que de semelles, Roger, pas très en forme, bougonne et ne rit pas comme il le fait d’ordinaire.
« Le Vormann, chien de garde habituel, cavale en hurlant le long de la colonne de marche. Trois tours déjà et il n’a pas remarqué que Roger esquive le pas de l’oie obligatoire quand on longe le bâtiment du commandant S. S. d’où, accoudés à la balustrade, ces messieurs dominent et contemplent ce summum de l’ordre nazi qu’est le camp. À chaque tour, je l’implore de s’y conformer, de ne pas attirer l’attention du sbire que la conduite de ce cortège de martyrs excite de plus en plus. Et c’est le drame ! Il a vu ! Il bondit sur Roger et le roue de coups de son gummi tout le temps que nous passons à cet endroit. Même scénario, au tour suivant. “Roger, lève la patte ! lui dis-je. Qu’est-ce que tu en as à foutre, de jouer au guignol ? Ça ne changera rien au sort de la guerre.” Le tour suivant, accablé de coups, jeté au sol, Roger ne peut se relever. Il y gît le restant de la journée.
« Le lendemain, je pars seul à Heinkel. Roger Maran mourra peu après de ne pas avoir voulu plier devant les nazis et, souvent, une question terrible me lancine : pourquoi est-il mort ? Si, un jour, un enfant me pose cette question, devrai-je lui répondre que, peut-être, il est mort pour rien, que son sacrifice doit être porté au compte des choses inutiles ?
« Non ! l’histoire ne doit pas se répéter ! Que demain je puisse dire à mes enfants : “Il est mort pour que soit gagnée la guerre en 1945 mais surtout pour, qu’avec vous nous gagnions la paix pour le monde entier, l’amitié entre tous les peuples.” »
CHAPITRE SEPT
LA DÉLIVRANCE
Hitler avait promis des victoires faciles à ses troupes lancées à l’assaut de l’Europe. En même temps, il avait garanti une totale impunité aux populations du Grand Reich. Dès août 1939, il s’était vanté de ne jamais laisser violer l’espace aérien allemand. Goering avait déclaré de son côté qu’il préférerait s’appeler Mayer et être traité de sale juif plutôt que d’envisager un bombardement de Berlin. On sait comment l’Histoire s’est chargée de démentir les chefs nazis.
En janvier 1943, lorsque les grands convois de France arrivent à Sachsenhausen, la formidable bataille qui fait rage à Stalingrad, et qui marquera un tournant décisif de la guerre, approche de son dénouement. Dans l’héroïsme de l’armée soviétique, les déportés trouvent des raisons d’espérer. C’est pourquoi, durant l’un des premiers appels du soir, un événement impressionne si fort les Français, parmi lesquels Fernand Châtel, qui vient de passer huit mois dans les cachots du Palais de justice de Rouen :
« Il y a déjà longtemps que nous sommes alignés, que nous avons été comptés et recomptés par les chefs de block ; mais le groupe des S. S., près de la porte d’entrée, ne bouge toujours pas pour son inspection de contrôle. Un kommando qui travaille à l’extérieur est en retard. Il faut attendre.
« Le froid nous glace. La nuit est lugubre comme nos pensées. Nous sommes encore sous le coup de la découverte du monde concentrationnaire. Soudain, un bruit de bottes s’élève, se rapproche, de plus en plus fortement rythmé. Sous la lumière des projecteurs les retardataires font leur apparition. Un mot court dans nos rangs : “Les Russes ! Les Russes !”
« Effectivement, ce sont des prisonniers de guerre soviétiques. Ils ont gardé leurs bottes, leurs uniformes, et marchent aux ordres de leurs officiers. Tout dans leur comportement, leur discipline, leur allure, témoigne que les hitlériens n’ont pu les briser. Alors une chaleur réconfortante se répand en nous ; au-delà de ces compagnons d’infortune, ce sont leurs
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