Sachso
frères, les vainqueurs de Stalingrad, que nous voyons défiler… »
À l’est, la capitulation des nazis à Stalingrad le 2 février 1943 donne le départ aux offensives de l’armée rouge qui atteindra Berlin deux ans plus tard. À l’ouest, les Anglo-Américains multiplient leurs raids aériens sur l’Allemagne.
La R. A. F. a commencé ses bombardements massifs avec mille avions sur Cologne, le 30 mai 1942, et mille autres sur Essen, le 1 er juin. Les premières forteresses volantes américaines pilonnent Berlin le 28 juillet 1943.
Après le débarquement allié en Normandie du 6 juin 1944, c’est le 21 juin 1944 qu’une flotte aérienne venue de l’ouest bombarde la capitale du Reich, et qu’au lieu de faire demi-tour comme d’habitude elle continue vers l’est pour se ravitailler en U. R. S. S.
Les deux fronts réunis symboliquement ce jour-là par une jonction aérienne ne cesseront dès lors de se rapprocher plus ou moins vite. Pour les déportés d’Oranienburg-Sachsenhausen et de ses kommandos, la manifestation essentielle de la guerre devient les bombardements anglo-américains, car les avions soviétiques n’apparaîtront qu’avec les troupes, aux derniers jours du conflit.
Les alarmes se succèdent : la Voralarm d’abord, c’est-à-dire la pré-alerte, suivie de la Grossalarm quand il s’avère que les bombardiers se dirigent bien vers le secteur. Les horaires de travail sont bouleversés, les plans de production perturbés. Les déportés s’en réjouissent, même si les nombreuses alertes nocturnes les privent d’heures précieuses de sommeil. Les bombardiers prennent souvent Berlin pour cible en début d’après-midi par temps clair. Les armadas bourdonnantes s’en approchent par le nord, par Oranienburg. La D. C. A. allemande, la Flak, crache de partout ses obus, qui ponctuent le ciel de flocons blancs. Du sud parviennent bientôt des roulements sourds, pendant que s’élèvent des nuages de fumée et de poussière qui cachent vite le soleil.
Les civils berlinois qui travaillent dans les usines d’Oranienburg avec des kommandos de déportés ne cachent pas l’ampleur des destructions. Ils sont inquiets. À l’usine d’aviation Heinkel, après un raid particulièrement violent sur la capitale, ils vont jusqu’à prendre d’assaut le train spécial qui les amène chaque jour et ils obtiennent de rentrer d’urgence, tenaillés par le souci de connaître le sort de leur famille, de leur maison. Un sort qui n’épargnera d’ailleurs pas l’usine Heinkel elle-même.
LE BOMBARDEMENT D’HEINKEL
Le 18 avril 1944, Heinkel est l’une des premières usines de matériel de guerre de la région à subir une attaque particulière des bombardiers anglo-américains.
Au début de cet après-midi ensoleillé de printemps, Gaston Bernard est à son poste de travail au hall 5. Soudain, par le portail grand ouvert d’où sortent les ailes terminées du He-177, il voit s’agiter les servants de la pièce de D. C. A. juchée sur une tour métallique au-delà des barbelés. Le canon quadruplé est débâché et mis en position : scénario classique précédant chaque alerte.
Comme le prévoyait Gaston Bernard, les sirènes retentissent quelques instants plus tard. Avec ses compagnons, il descend dans l’abri qui leur est affecté : le dortoir souterrain réservé aux détenus allemands, sous l’aile droite du block faisant face au hall de fabrication. Ce jour-là, comme les autres fois, la fin d’alerte sonne sans que tien se soit passé. Chacun regagne les halls le plus lentement possible malgré les vociférations des Vorarbeiter.
Cependant, à peine revenus à leurs postes de travail, les déportés sont renvoyés aux abris par des ordres hurlés de toutes parts. Le contre-ordre aussitôt après l’ordre, cela fait partie du quotidien de la vie concentrationnaire. « Encore une précaution inutile », pense Gaston Bernard qui est parmi les derniers à ressortir.
La porte du hall juste franchie, il sent la terre trembler sous ses pieds. Sous la première vague de bombes il s’engouffre, au milieu d’une cohue indescriptible, dans l’escalier central du dortoir-refuge. En bas des marches, un groupe de Vorarbeiter barre le passage et fait remonter les déportés qui se précipitent alors vers l’extrémité du bâtiment, où il y a les cuisines et un autre escalier.
En passant devant les cuisines, Gaston Bernard aperçoit des détenus qui
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