Sachso
d’autre part tous les blessés qui succomberont. Si bien que les évaluations globales varient entre trois cent vingt et cinq cents morts.
Comme dans un film d’horreur, les images macabres défilent sous les yeux de Jacques Placet l’infirmier belge du Revier, très lié aux Français de Heinkel. « À l’alerte, je m’étais retrouvé comme d’habitude avec mon groupe de Luftschutz du block 4 : deux brancardiers avec leur brancard, deux pompiers avec une hache et moi avec une trousse médicale d’urgence…
« Notre bâtiment est gravement touché par les bombes… Un hurlement proche : un homme a une jambe écrasée sous une poutre en béton, qu’il est impossible de soulever. Le feu gagne rapidement et ce camarade va brûler vif. Han ! un coup de hache, un garrot en vitesse et le malheureux est porté sur le brancard, en toute hâte, vers le Revier. Je ne le reverrai pas…
« À mon tour, je rejoins mon poste au Revier en faisant sur mon chemin quelques pansements de fortune. En bordure de route, j’aperçois, allongé à terre, un ami russe, Boris, ancien chauffeur de taxi à Paris. Il est transpercé de plusieurs éclats, son teint est gris, son pouls à peine perceptible. Il veut que je lui dise la vérité sur son état. Je lui réponds que nous allons tenter l’impossible, mais il lit dans mon regard : “J’ai compris. C’est non. Laisse-moi là, cale-moi la tête avec cette veste, embrasse-moi et va vers ceux qui ont une chance de s’en sortir…” J’arrive finalement au Revier deux heures après le bombardement mais j’ai l’impression qu’il ne s’est passé que dix minutes. Le chirurgien est furieux. Il y a deux heures qu’il opère seul, aidé par un médecin généraliste plein de bonne volonté mais n’ayant pas l’habitude de ce genre de travail.
« Immédiatement, nous mettons une technique au point pour déshabiller rapidement les blessés. Le médecin à droite de la table, moi à gauche, chacun découpe avec une grosse paire de ciseaux les jambes du pantalon et les manches de la veste. Il ne reste plus qu’à soulever le blessé et à jeter les habits par terre…
« Nous ne sommes pas équipés pour les opérations à faire, c’est dramatique.
« Une grande bassine d’eau saturée de crésyl est notre seul moyen d’asepsie. On y plonge les instruments, on s’y lave les mains…
« Pour l’anesthésie, nous n’avons qu’un masque archaïque, un peu d’éther et de chloroforme, vite épuisés. Nous ferons boire ensuite l’alcool des bouteilles de catgut, puis il ne nous restera plus que l’ultime solution : assommer les patients d’un coup de poing à la tempe… »
Mais, si les Français ressentent cruellement la perte de nombre des leurs, ils ne portent pas le deuil de certains complices des S. S., comme ce Vorarbeiter de la kolonne 8 du hall 2, un bandit de droit commun surnommé « la Craquette ». Affecté au corps des pompiers du camp, il était au moment du raid près de la grande porte du hall 2 qui s’ouvrait en accordéon pour laisser entrer les wagons de matériel. Sur un des panneaux disloqué et criblé d’éclats, il y a comme une silhouette rouge. C’est tout ce qui reste de « la Craquette ».
Dans les halls où les pendules électriques sont arrêtées à 14 h 40 ou 14 h 45, les dégâts sont variables mais importants. Au hall 5, le stock de pièces en tôle d’électron a brûlé, le compresseur est hors d’usage.
Presque partout, du matériel a été plus ou moins détruit par les bombardements effectués à basse altitude. Plus de mille petites bombes de cinquante kilos environ ont été larguées. Quelques-unes sont retrouvées, non explosées, dans le terrain sablonneux qui a fait étouffoir. Elles sont peintes en jaune, munies d’une petite hélice à l’avant et portent des inscriptions en lettres vertes. Sur l’une, la date : février 1944.
L’ÉVADÉE D’AUER
Le 15 mars 1945, les usines Auer d’Oranienburg sont complètement détruites par six cent douze forteresses volantes qui lâchent mille cinq cent six tonnes de bombes explosives, la plupart à retardement, et cent soixante dix-huit tonnes de bombes incendiaires.
Pourquoi un raid aussi massif et aussi violent sur un objectif aussi limité auquel est intégré un camp de quelque deux mille femmes déportées, dont un millier environ périront ce jour-là ? Parce que les usines Auer ne fabriquent pas seulement des masques
Weitere Kostenlose Bücher