Sachso
à gaz comme cela se fait sur la chaîne de Suzanne Degoix ; dans certains ateliers, on traite des minerais rares que les nazis utilisent dans les recherches pour leur bombe atomique !
L’attaque a lieu au début de l’après-midi. Il n’y a qu’une petite partie des déportées au travail, car la pénurie de matériaux arrête la production de masques à gaz plusieurs jours par semaine. Toutes les autres sont restées au camp, coincé entre les usines, une voie ferrée et la rivière. Comme à chaque alerte, elles sont enfermées à clef dans les baraques de bois. Etna Liessem est du nombre. « Avec un effroi mêlé de joie, je vois le baraquement des surveillantes voler en l’air. Quelques instants plus tard, c’est notre tour. Le souffle d’une énorme explosion et l’obscurité. Je hurle de douleur ! J’entends d’autres cris de souffrance. À côté de moi, mon amie Rosel dit : “Nous sommes en train de brûler vives !” J’ai le sentiment d’être déjà brûlée. Je veux retirer les mains de mon visage. Elles sont comme collées dessus. C’est alors que je sens une chaleur intense et j’aperçois les flammes qui lèchent les poutres au-dessus desquelles perce la lumière du jour. Le craquement des flammes semble éveiller en moi une étincelle de vie. Comment expliquer autrement que je puisse sauter par la fenêtre et sortir de cet enfer ? Est-ce là que je me fracture le pied ? Je n’en sais rien. Je sombre dans l’inconscience. Une blessure à la tête a déclenché une grave commotion cérébrale. D’une brume fantomatique émergent un immense incendie, des jaillissements de colonnes noires, des flammes rampant sur le sol, des pans de ruines…
« Trois jours et trois nuits, je reste couchée sous un pont de chemin de fer où l’on m’a transportée avec d’autres blessées. Finalement, on nous charge dans des camions comme des animaux et, derrière nous, se referme bientôt le portail géant du grand camp de Sachsenhausen. »
Olga Nowak de Paris, plus chanceuse, sort saine et sauve de sa baraque en flammes. Avec d’autres, elle se dirige vers l’enceinte de barbelés où le courant électrique ne circule plus. Elles passent sous les fils de fer, tombent dans des trous d’eau, s’en sortent tant bien que mal. Des bombes à retardement continuent d’éclater autour d’elles : « À sept ou huit, nous marchons jusqu’à la nuit et atteignons une grande route. Des soldats nous rejoignent et nous font étendre à terre jusqu’au petit jour. Ils sont affolés et guettent le ciel. Le 16 mars, ils nous ramènent à Sachsenhausen. » Plus chanceuse encore, Denise Manquillet échappe aux flammes, aux bombes et aux ratissages pour rattraper les fuyardes. Cette Lorraine gagne ainsi sa liberté, grâce à sa connaissance parfaite de la langue allemande et au courage qui ne la quitte jamais. Un détail révélateur : le 15 mars après-midi, le bombardement la surprend alors qu’elle grave sur un morceau de celluloïd l’emblème de sa province natale, une branche de chardon avec la devise : « Qui s’y frotte s’y pique ! »
Denise Manquillet traverse le dédale des décombres fumants, franchit les barbelés désormais inoffensifs. Mais le haut grillage qui borde, à l’extérieur, le chemin de ronde est encore tendu. Denise Manquillet s’aperçoit qu’un éclat de bombe l’a troué à deux mètres cinquante environ du sol : « J’y grimpe tant bien que mal et, déchirant mes mains et ma robe, je me laisse glisser de l’autre côté, dans l’étang qui se trouve au nord-est du camp. Enfoncée dans la vase à mi-corps, je longe le grillage en m’y cramponnant. Je progresse ainsi vers la liberté. Tout est chaos et débandade. Beaucoup de détenues ont pris le large, elles aussi. J’en vois quelques-unes égaillées dans l’eau, qui tentent de s’éloigner. Nos baraquements brûlent. L’air est suffocant. De temps à autre, des bombes à retardement se font entendre. Je finis par atteindre la voie ferrée au sud-est du camp. Je la suis un moment, traverse le pont et débouche dans une rue presque déserte de la ville d’Oranienburg.
« Survivre coûte que coûte et rester libre est devenu mon idée fixe. Parce que j’ai faim, j’entre, non sans appréhension, dans une boulangerie. La boulangère, bien que surprise et gênée devant ma tenue rayée et maculée, ne me chasse pas. Elle me donne un petit quignon de pain. Enhardie par ce geste
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