Sachso
à une cadence ridicule ? Une série de raies blanches strient maintenant le ciel, où l’on aperçoit des points brillants au soleil : les bombardiers d’où descendent les bombes avec un bruit voisin de celui d’un rideau de fer de boutique que l’on baisse ou d’une soie que l’on déchire.
« Dans l’abri ! » crie Kuhn. Ce sont des trous creusés dans le sable entre le parc à ferraille et la fonderie, seulement recouverts de rangées de traverses de chemin de fer et d’un peu de terre. Il s’y jette, suivi de Bézaut. Mais, quand le sol se met à trembler dans un grondement épouvantable, Bézaut se précipite hors de l’abri : « Je ne veux pas mourir comme un lapin ! » À peine dehors, il est plaqué à terre par une explosion. « Quand je me relève, je vois, à l’endroit du camp, monter une fumée noire. Tout le drame du bombardement de Klinker est là. La première vague d’avions a déversé son chargement à l’extrémité de l’enceinte du kommando, sur le camp. Les baraques en bois brûlent très vite. Les déportés des équipes de nuit, à cette heure dans les blocks, ont dû être surpris dans leur sommeil…
« Mais la seconde vague de bombardiers est déjà là. Une tornade ébranle l’air. Je retombe dans l’entrée de l’abri, j’en ressors. Cette fois, l’obscurité est totale. Les bombes ont touché et fait basculer les fours verticaux tournants, générateurs de chaleur. Ceux-ci, en tombant, se transforment en gigantesques lance-flammes. Ils achèvent de brûler leur contenu de coke, chauffant à blanc les charpentes de l’usine qui se tordent et s’écroulent. Un éclair bleuâtre, des étincelles trouent l’obscurité : c’est le poste de transformation électrique qui s’effondre.
« Le souffle des explosions soulève le sable et, la chaleur aidant, c’est un véritable sirocco qui balaie Klinker. Je mords dans un morceau de chiffon pour essayer de ne pas avaler de sable… »
Émile Le Rigoleur, dédaignant lui aussi les abris, s’est réfugié dans un des énormes tuyaux métalliques du parc à ferraille. À chaque détonation, le tube où il est blotti se soulève et retombe. L’air lui manque. Il lui faut quitter sa position devenue intenable, juste au moment où la nuit d’encre qui s’est abattue sur Klinker est trouée par des lueurs démoniaques : celles des bombes au phosphore qui commencent à tomber.
Une explosion plus forte, plus proche, projette Jean Bézaut par-dessus les barbelés de l’enceinte, tordus et déchiquetés : « Je me retrouve sans lunettes, dans un terrain marécageux. Un arbre couché me sert de main-courante pour me dégager de la vase. J’avance pas à pas. Tout à coup, je bascule dans une tranchée, nez à nez avec un S. S.
« Dès le début du bombardement, les S. S. se sont repliés à l’extérieur des barbelés, dans une espèce de chemin de ronde, pour empêcher les évasions mais aussi pour se protéger ! Celui-ci est tellement étonné de voir arriver cette espèce de limace humaine, qu’il en oublie et son rôle et sa mitraillette…
« Avec les bombes, les Alliés lancent maintenant des tracts. Le S. S. en attrape un, moi aussi. La lecture de tels tracts est punie de mort mais le S. S. ne s’occupe pas de moi. Je lis avidement les nouvelles. Sur la première page il y a une carte couverte de noir, ne laissant au centre de l’Allemagne qu’une petite tache blanche : là où nous sommes. Des titres me sautent aux yeux : “Les Anglo-Américains ont occupé Brunswick… Les Français entrent dans Stuttgart… Grande victoire à l’est…” »
Machinalement, réaction nerveuse incontrôlable, Jean Bézaut a compté les vagues de bombardiers : treize ! Le raid a duré une quarantaine de minutes. Les avions ont pilonné méthodiquement le kommando, sur toute sa surface, d’ouest en est.
Lorsque le dernier bombardier s’éloigne, Klinker a disparu. Il n’y a plus que ruines, fumée, flammèches, flammes. Au loin, vers Oranienburg, une sirène mugit… C’est fini.
Durant l’attaque, Noailles a profité d’un trou dans la clôture du camp pour se réfugier dans la forêt avec d’autres déportés. La fin de l’alerte le surprend avec un Russe, au bord d’une mare où flotte un poisson mort. Ils se le partagent et l’avalent aussitôt, cru… Peu à peu, des groupes se forment à travers bois. Les S. S., apparemment aussi choqués que les détenus, poussent sans
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