Sachso
la peur me prend d’être découvert à cause de cette “grossesse”… Mais cette journée mouvementée se termine normalement. En rentrant au camp, les détachements des kommandos extérieurs défilent devant le corps de notre camarade pendu, qui porte un écriteau : “Voilà ce qui arrive aux voleurs !” »
Léon Fraysse lit l’avertissement en revenant du kommando Speer, où il a échappé aux bombes. Ce n’est pas le cas de son block, le 52 précisément, incendié par des plaquettes de magnésium. Il y logeait depuis vingt-trois mois ; le voici maintenant hébergé au 66.
Charles Huguel, pour sa part, retrouve le camp après bien des émotions. Malade depuis plusieurs jours, il marche avec peine et, quand le bombardement le surprend dans son kommando, il ne peut courir et suivre ses camarades. Sous le déluge de fer et de feu, il reste au pied d’un pin. Quand le raid prend fin, il se dirige péniblement vers Oranienburg, laissant le camp derrière lui. Il rencontre d’autres rescapés : « Il est possible de fuir, mais où aller ? Nous sommes démunis de tout, et notre mine et nos costumes nous signalent à l’attention générale. D’ailleurs nous ne marchons pas longtemps. Des soldats nous réquisitionnent pour sauver le mobilier de plusieurs maisons touchées par des bombes incendiaires. Puis les S. S. reviennent et nous ramènent au camp. »
DE HEINKEL À MESSERSCHMITT ET JUNKER
Il est impossible d’isoler complètement l’histoire d’un camp parmi tous les autres bagnes de l’enfer nazi. Le système concentrationnaire hitlérien est un tout. Nombreux sont les déportés qui commencent leur calvaire à Sachsenhausen et le poursuivent en d’autres lieux : Dachau, Struthof-Natzweiler, Buchenwald, Neuengamme, Bergen-Belsen, Mauthausen, etc. Nombreux sont ceux qui suivent un itinéraire inverse et entrent à Sachsenhausen après avoir été déjà immatriculés ailleurs. Ce brassage de détenus est une mesure à laquelle les S. S. ont recours dès le début, pour empêcher l’extension dans chaque camp, de formes trop organisées de résistance avec des noyaux, des équipes d’antifascistes se connaissant bien. Mais les besoins croissants des Allemands en main-d’œuvre détenue, les classifications qu’ils établissent entre les diverses catégories de « sous-hommes » enfermés dans les camps, l’avance des armées alliées sur tous les fronts d’Europe, sont des facteurs qui accélèrent un énorme mouvement de déportés qui s’entrecroisent dans un Reich de plus en plus réduit. Ce sont les « transports », concernant aussi bien quelques dizaines, quelques centaines ou plusieurs milliers d’hommes et qui se terminent souvent en d’horribles tragédies, surtout dans les derniers mois de la guerre, quand les S. S. craignent de laisser derrière eux des témoins de leurs crimes.
Par exemple, les détenus qui quittent Sachsenhausen le 13 juin 1944 pour le camp du Struthof en Alsace font partie d’un transport punitif. Antinazis de diverses nationalités ils sont victimes de la répression déclenchée depuis deux mois par les S. S. et la Gestapo à l’intérieur du camp avec la commission Cornély et ses mouchards. Paul Dubois, le mineur de Carvin, est de ce transport :
« Le voyage, toujours en wagons à bestiaux, est épouvantable et dure trois jours. Au Struthof, je suis jeté dans une baraque de “musulmans” – les inaptes au travail – et dépouillé de la plupart de mes misérables vêtements de forçat. Je n’ai plus qu’à me draper dans une couverture, comme mes camarades. C’est ainsi affublé que j’erre dans le camp et réussis à prendre contact avec l’organisation clandestine qui lutte ici comme nous luttions à Sachsenhausen.
Il y a des Allemands bien sûr, mais aussi des Français, parmi lesquels Max Nevers et Petitjean, un journaliste de Paris. Puis je fais la connaissance du général Charles Delestraint. Nous sommes tous deux du Pas-de-Calais et nous avons de longues conversations, lui le résistant gaulliste, promu chef de l’Armée secrète sur l’intervention de Jean Moulin, et moi le mineur communiste.
« Arrêté le 9 juin 1943, il est au Struthof depuis mars 1944. Nous nous lions d’amitié. Au début de septembre, quand les nazis évacuent six mille détenus français du Struthof devant l’approche des Alliés du front ouest, je me retrouve avec lui à Dachau. À Dachau où le 29 avril 1945, quand la
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