Sachso
de mes camarades, afin d’être rapatriée avec elles.
« Après les réfugiés, vers la mi-avril, ce sont les troupes allemandes qui refluent en débandade. Puis les bruits de la bataille deviennent perceptibles. Un moment vient où nous nous trouvons dans le no man’s land. Les obus et les balles sifflent au-dessus de la petite maison. Anxieuse, terrorisée, une fois de plus je remets ma tenue rayée, me terrant comme une taupe, attendant que passe l’orage. Les troupes de choc russes paraissent, cavaliers rapides comme l’éclair sur de petits chevaux. Ils combattent en manches de chemise, la mitraillette sous le bras. Suit l’infanterie, qui prend le temps de tout ratisser. Ensuite, ce sont les chars et les blindés.
« En ce jour du 24 avril 1945, je pense qu’il est temps alors de regagner le camp.
« Je fais mes adieux à ma bienfaitrice et je pars en direction d’Oranienburg. Mais je n’arrive pas jusque-là. Dans la traversée d’un village, je suis arrêtée et conduite chez des paysans qui n’ont pas fui comme semblent l’avoir fait tous les autres. Je suis enfermée dans une pièce et gardée à vue par une sentinelle russe, figée devant la porte de ma nouvelle prison. Sur l’injonction de mes geôliers, la fermière me donne à manger du riz au lait que je trouve délicieux. Je ne suis pas trop inquiète, pensant qu’il s’agit d’un malentendu que je n’aurai aucun mal à dissiper… »
Mais, en cette période, tout ce qui n’est pas directement identifiable est suspect aux combattants. Denise Manquillet est accusée d’espionnage. Elle doit se défendre avec acharnement, raconter dix fois, vingt fois, son histoire avant d’être relâchée. Pas question d’aller à Oranienburg. On lui indique un itinéraire vers le sud pour un camp de regroupement, qu’elle rejoint sur un vélo sans pneus, ramassé dans un fossé. Quelques jours après la capitulation du 8 mai, une délégation de la Croix-Rouge française visite les lieux. Elle remet une lettre à un médecin militaire et ses patents apprendront ainsi fin mai qu’elle est vivante, qu’elle espère rentrer bientôt.
Le 6 juin 1945, au terme d’un long voyage, elle passe sa dernière nuit au centre d’accueil de Nancy… et croit soudain rêver : « N’ai-je pas la surprise, en effet, à mon réveil, de reconnaître, à quelques mètres de moi, une de nos surveillantes du camp d’Oranienburg, en civil, mais encore chaussée de bottes ? Je ne l’avais pas connue particulièrement mauvaise avec les détenues mais je juge que sa présence ici est pour le moins indésirable. Sans plus tarder, j’en informe le Deuxième Bureau. Qu’ai-je fait là ? Pour un peu, c’est moi qu’on aurait renvoyée en Allemagne ! Son “chevalier servant”, un prisonnier de guerre qui l’a ramenée dans ses bagages, ne veut pas s’en séparer. Il le faut bien pourtant, après quelques palabres. Peut-être, après tout, n’ai-je pas fait là une bonne action mais, à l’époque, il ne fallait pas me demander trop d’indulgence… »
KLINKER RASÉ
Le 10 avril 1945, il fait très beau, le soleil brille au-dessus de Klinker. Dans la matinée, Philippe Kuhn, le Laüfer du kommando, vient se reposer comme d’habitude un moment dans le petit bureau que Jean Bézaut partage avec Van Katwick, un Hollandais chargé comme lui de l’analyse des gaz des fours. « Tu sais, dit Kuhn à Bézaut, j’ai vu Dörfer tout à l’heure. Il aurait entendu à la radio anglaise que ce côté du canal serait bombardé cet après-midi… Comme s’ils allaient nous prévenir ! » Dörfer est Autrichien, un vieux du camp, qui pointe les entrées et les sorties des camions à la porte de Klinker. Il va souvent au secrétariat S. S. et il est possible qu’il ait entendu la radio. Mais Bézaut et Kuhn n’y attachent guère d’importance.
Pourtant, à 14 h 30, c’est l’alarme. Les deux amis se retrouvent près du parc à ferraille, sur un tas de sable qui est leur poste d’observation lorsque les bombardiers vont sur Berlin. À l’ouest, trois traînées blanches dans le ciel se rapprochent rapidement. On les voit vers le grand camp, puis tout de suite au-dessus de l’usine. Ces chasseurs de pointe tournent en laissant un cercle blanc à la verticale. C’est mauvais, très mauvais signe ! Mais peut-être visent-ils les écluses du canal de la Havel et non l’usine, où la fabrication des grenades anti-chars est tombée
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