Sachso
couché dans son block depuis quelques heures quand les sirènes le réveillent. Pas d’abri dans le camp même ; interdiction de sortir. Louis Péarron regarde cependant au-dehors : « La première vague arrive à l’altitude approximative de huit mille mètres. L’avion de tête lâche un engin qui laisse échapper une longue traînée de fumée blanche. C’est le signal maintes fois observé du “Lâchez tout !” Et cette fois, c’est sur nous qu’il se dirige !
« Déjà la deuxième vague apparaît là-haut. Des grappes de petites bombes incendiaires scintillent dans le soleil.
« Un paquet d’une cinquantaine de ces tubes hexagonaux, longs de quarante-cinq centimètres, tombe à proximité. Le détonateur qui se trouve au milieu du paquet n’a pas fonctionné. Il y a aussi des bombes explosives. Mon block se partage en deux. Une vitre se brise sur mon visage. Des incendies naissent alentour.
« D’autres vagues se suivent, pilonnent la forêt et les dépôts S. S. d’armes, de munitions, de camions, de chars. Je pense que la principale raison du bombardement est l’usine d’armes, notamment la fabrique de Panzerfaust, la fonderie de grenades, une poudrerie nouvellement installée, l’usine Speer, le kommando Klinker, etc. »
Lors du bombardement, Charles Deléglise et son jeune camarade ukrainien Piotr Gavrilouk, électriciens du camp, sont à la menuiserie, près du kommando Schuhfabrik.
Les éclairs de bombes et des engins incendiaires les aveuglent presque. Dans l’atelier de Schuhfabrik, Samuel Holgard veut absolument sortir : « J’avais poussé la porte à moitié, quand une bombe éclate à cinquante mètres. La déflagration referme la porte sur moi et me projette au milieu de l’atelier. Je me relève indemne. Personne n’est blessé. »
Par contre, il y a des morts au K raftfahrzeug-Depot, que Marcel Couradeau voit sauter, de son abri précaire dans la forêt. Robert Franqueville, allongé dans une tranchée entre des ateliers, compte les bombardiers qui volent par groupes de douze. Un vacarme terrifiant interrompt ses calculs : « Une baraque en face de nous disparait dans un geyser de feu… À l’emplacement de l’atelier des carters, un entonnoir de dix mètres de diamètre est creusé… L’entrepôt principal des huiles, le dépôt d’essence, des logements S. S. : tout flambe. Du côté du parc à munitions, les explosions font rage… Des déportés affamés se lancent dans les flammes, vers la cantine S. S. Ils se sauvent, les bras pleins de saucissons fumants et de pains à demi calcinés. »
Le feu du ciel qui ravage les ateliers et dépôts à l’extérieur du camp s’abat aussi à l’intérieur, en particulier sur les blocks 52 et 68. Avec d’autres déportés, âgés et éclopés, Louis Vico, amputé d’un bras, dépiautait au 68 des fils électriques quand l’alerte a sonné. Maintenant tout le monde est sur le qui-vive, y compris le chef de block, Édouard le Luxembourgeois. Vico se dresse soudain : « Traversant le toit de la baraque, une bombe incendiaire allume un brasier près de nous. C’est le sauve-qui-peut. Malgré l’interdiction de sortir, nous nous précipitons vers la fenêtre grande ouverte, y compris le chef de block. Je vais sauter à mon tour quand, pris dans la cohue, poussé, piétiné, je me retrouve dehors sur le sol rocailleux, le moignon et la tête en sang. Les derniers à sortir en profitent pour récupérer des boules de pain dans le block qui fume encore quand sonne la fin de l’alarme. Mais le vol des pains est signalé et les récupérateurs sont recherchés. Sur trois, la sentinelle S. S. n’en reconnaît qu’un, d’origine yougoslave. La potence est spécialement dressée pour lui. L’exécution est rapide, devant nous, rassemblés comme d’habitude. À ma droite, dans le rang, un camarade italien est pâle et tremblant. Il me murmure : “J’ai un pain sous ma veste.” Il veut s’en débarrasser, le jeter pour éviter toute histoire. Je l’en dissuade. Cette boule attise notre faim. Aussitôt donné l’ordre de rompre les rangs, j’entraîne mon compagnon vers le four crématoire, dans le sous-sol d’un bâtiment en briques dont la construction a été interrompue. La boule est dévorée en quelques coups de dents. Le pain est sec, mais nous avons si faim !
« La tête sous un robinet, nous buvons ensuite sans arrêt, comme des éponges… Alors… mon estomac se gonfle tant que
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