Sachso
afin d’éviter tout prétexte de sévir aux S. S. Nous cherchons à gagner du temps pour que les troupes russes arrivent avant notre départ. Nous restons derrière le block du secrétariat du camp et attendons patiemment. Nous entendons toujours le canon.
« Pendant ce temps, les S. S. organisent des colonnes de cinq cents hommes chacune et font transporter, des cuisines, les boules de pain distribuées à la porte du camp.
« Les hommes ont faim, car la veille nous n’avons rien touché. Des Ukrainiens attaquent une charrette de pain. À quelques mètres de moi, le sous-officier convoyeur sort son pistolet en hurlant et tire sur un de ceux qui se sont approchés du chargement. Son béret s’envole. Il se jette parmi nous pour se cacher, notre groupe l’absorbe. Les S. S. inquiets ne poursuivent pas le malheureux. Nous regardons sa tête ; la balle est passée si près du crâne qu’au sommet le cuir chevelu est enlevé !
« L’après-midi s’avance. Nous cherchons des bâtons pour nous aider dans la marche que nous prévoyons dure. Dans les bureaux, je prends un solide support de rideau. Nous trouvons une caisse de canifs et de couteaux qui avaient été confisqués. Chacun se sert…
« Plusieurs camions entrent dans le camp chargés de femmes. Elles ne peuvent presque plus se tenir debout. Jamais je n’ai vu des visages aussi petits et aussi malheureux. Ce sont des têtes presque momifiées…
« Vers 17 heures 30, des S. S. nous poussent vers la sortie, par rangs de cinq, sur l’allée de ciment. Quand notre colonne sort, je regarde la pendule au-dessus de la grande porte, il est 18 heures. Nous sommes dans les derniers à partir ; pourtant, il reste encore beaucoup de prisonniers valides, surtout des Russes. L’évacuation s’est faite dans l’ordre suivant : Allemands, Polonais, Tchèques, Belges, Hollandais, Italiens, Espagnols, Français et enfin Russes.
« Nous tournons à gauche, en direction du canal, et empruntons les chemins du bois environnant, vers le nord. Il semble que la bataille soit tout près, de l’autre côté du canal. La nuit tombe rapidement… »
Roger Agresti et Armand Suzzi ne se quittent pas depuis que la pagaille s’est emparée du camp avec l’annonce de l’évacuation :
« Les détenus sont regroupés par nationalité. Cela dure, puisque les Français ne quittent le camp qu’en fin d’après-midi. Après avoir dépassé les bâtiments des S. S. et tourné à gauche vers la forêt, nous entonnons “le Chant du départ”. Nos gardiens crient. Au loin, derrière nous, on voit les lueurs rouges d’incendies… »
En fin d’après-midi également les femmes détenues quittent Sachsenhausen après une longue attente. Dès le matin, Renée Dray va près de la porte qui communique avec le camp des hommes. « Dans un grand désordre l’exode s’organise. Les cuisiniers nous procurent un peu de ravitaillement exceptionnel. Moi, j’ai deux ou trois pruneaux. C’est un événement si extraordinaire qu’il me marque profondément. Puis, le soir, sur la place d’appel, nous avons notre pain et du pâté. »
Ce qui se passe au grand camp, où ne restent que les malades du Revier, se passe aussi dans les kommandos extérieurs, sauf à Falkensee, qui n’est pas évacué.
À Heinkel, où l’usine est complètement arrêtée et où il n’y a plus qu’un repas par jour (175 grammes de pain et un litre de soupe très claire), Alex Le Bihan est brutalement réveillé dans la nuit du 20 au 21 avril par les cris du Blockführer : « C’est le branle-bas général. Nous sommes rassemblés au réfectoire, il n’est pas question de faire les lits. Le chef de block distribue à chacun un pain entier de 1 500 grammes et de la margarine. Les conversations vont bon train et les mâchoires commencent à fonctionner. Les uns entrevoient la libération pour le jour même, les pessimistes l’envisagent dans trois ou quatre jours.
« C’est l’euphorie complète. Pain et margarine en prennent un coup. Le chef de block revenu dans le réfectoire voit le spectacle et crie : “Vous êtes fous, vous avez au moins huit jours à marcher et vous n’aurez plus rien à manger.” Certains ricanent doucement. Réflexion faite, je coupe mon pain en quatre, j’en fourre une part dans chaque poche de mon pantalon et les deux autres dans celles de mon pardessus que j’ai gardé depuis mon passage au kommando Klinker. Je décide de n’en manger
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