Sachso
la nuque l’attend.
« Le petit Châtelleraudais, fatigué, malade, a tout jeté, même sa capote. Heureusement, avant de partir, j’ai pris dans un block deux couvertures que je porte en bandoulière.
« Nous marchons ainsi jusqu’à la nuit tombante. Nous nous affalons, exténués, dans un champ en bordure de la route. Mais il faut s’organiser ; il faut absolument se reposer et, si possible, dormir ! Avec l’aide de Lecointre, j’enfonce quatre piquets en terre, je tends dessus une couverture et la lie solidement aux piquets avec les ficelles de nos chaussures. Nous nous glissons à plat ventre en-dessous, notre jeune camarade serré entre nous deux afin qu’il ait moins froid. Nous nous engonçons dans notre capote. La seconde couverture est étendue sur nous. Le toit de notre tente improvisée n’est qu’à quarante centimètres. Qu’importe ! Nous allons essayer de dormir. Pas question de mettre le nez dehors, tout tomberait. Alors on pisse comme on peut, même dans sa culotte.
« À quatre heures, le froid nous réveille. Il y a du givre partout. On s’étire, on se fustige à grands coups de bras, les membres sont endoloris, les doigts sont gourds. Au lever du jour, on repart. »
Quelques heures après avoir quitté le camp, la colonne où est René Rochard s’arrête le long de la route : « Le lieutenant nous fait un petit discours en quatre points. En cas de bombardement par les avions “ennemis”, tout le monde devra se coucher sur place ; nous marcherons une partie de la nuit, car nous n’allons pas assez vite ; désormais, il y aura cinquante hommes pour pousser les charrettes ; celui qui s’écartera de la colonne, pour ramasser de l’herbe ou autre chose, sera abattu sur-le-champ.
« Après une demi-heure de pause, nous repartons. Il fait nuit. La lune nous éclaire faiblement et je ne peux m’empêcher de penser que cette même lune éclaire en ce moment mes parents qui, eux, sont libres. Derrière nous, à l’horizon, le ciel est en feu. Une ville est peut-être la proie des flammes. Que sont devenus les camarades malades restés au camp ?
« Il est bientôt minuit. Nous entrons dans un village qui a l’air un peu plus grand que ceux que nous venons de traverser. “Halt !” Un Français passe dans les rangs en traduisant les ordres : “Vous allez coucher ici, dans les cours de fermes. Inutile d’essayer de vous sauver, vous êtes bien gardés. Vous repartirez demain matin.” « Nous entrons dans une cour qui ne me semble pas grande, mais il fait tellement noir que l’on ne se rend pas très bien compte. Il est interdit de pénétrer dans les bâtiments dont les portes sont d’ailleurs gardées par les S. S. qui crient : “Couchez-vous !” « On s’interroge : “Où est-ce que nous allons nous coucher ?” Je n’en sais rien, la terre est toute mouillée. On ne peut tout de même pas rester debout toute la nuit. Bah ! couchons-nous par terre, tant pis !
« Je déplie ma couverture dont je m’enveloppe, puis je m’assieds plus que je ne me couche sur les marches d’un petit escalier. Une demi-heure après, je suis obligé de changer de place. C’est intenable. Il souffle un vent glacial. Je m’approche d’un tas de paille. Là sont couchés de nombreux camarades. En m’allongeant à côté d’eux, je les touche un à un. Aussitôt ce sont des disputes, car chacun est à bout de nerfs. Enfin, je me fais une place et j’ai moins froid. Je ne peux toutefois dormir. J’ai la tête en feu. Je pense à toutes sortes de choses et à rien. Enfin, vers quatre heures du matin (approximativement, car bien entendu nous n’avons pas de montre) la fatigue m’emporte et je m’assoupis un peu. Dès que l’aube commence à poindre, nous sommes presque tous debout, battant la semelle. Frigorifiés, nous essayons de nous réchauffer en tapant des pieds et en remuant des épaules.
« Au jour, quelle n’est pas notre surprise : ce que nous prenions pour de la paille n’est qu’un tas de fumier ! C’est couchés dans cette saleté dégoûtante que nous avons passé la nuit. Des camarades se lamentent, désespérés : ils découvrent que leur pain a été volé, le peu de pain qu’ils avaient pour ne pas mourir de faim… »
À quelques kilomètres de là, c’est par contre un S. S. qui a la mauvaise surprise de constater, au petit matin, qu’il a été délesté de ses vivres. Sans savoir qu’une femme, une Française, Juliette
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