Sachso
à Dora, ils ont, le 4 avril, quitté à pied Rottleberode dans la région de Nordhausen. Denis Pichelin est dans la colonne qui s’amenuise au fil des kilomètres : « Nous étions sept cent cinquante au départ. En douze jours de marche, pendant lesquels nous ne recevons que deux soupes, cinq cents vont tomber à jamais. » Ils sont dans les derniers arrivants à Oranienburg-Sachsenhausen qui, à son tout, va être évacué dans quelques jours.
LA MARCHE DE LA MORT COMMENCE À SACHSO
À l’ouest, les Alliés progressent vers l’Elbe : la tenaille des forces soviétiques se resserre de plus en plus autour de Berlin et de Sachsenhausen.
Chacun sent que la fin approche. Les 16 et 18 mars 1945, la Croix-Rouge suédoise parvient à faire libérer les Norvégiens et les Danois détenus au camp. Nul ne s’illusionne sur la signification de ce geste, c’est l’exception qui confirme la règle, une mesure très limitée destinée à servir d’alibi éventuel aux nazis. Que vont-ils faire de tous leurs prisonniers ? Les uns parlent de « transport massif » vers on ne sait quel lieu, les autres d’extermination possible.
Au grand camp, André Lemaire fait le minimum d’efforts pour garder le maximum de forces. « Depuis le 1 er avril, les restrictions sont de plus en plus sévères. De la boule de pain pour quatre, nous voici arrivés à deux boules pour quinze et à un litre de soupe au lieu d’un litre et demi. Le casse-croûte du matin, d’abord réduit de moitié, est maintenant supprimé. Je constate sur la bascule qu’entre le 1 er et le 15 avril j’ai perdu trois kilos et demi… et pourtant, je fais tout pour économiser mes forces. Je marche très lentement. Lorsque nous avons besoin de circuler dans le camp – ce que l’on fait le moins possible –, on rencontre des individus d’une maigreur à faire peur : visage jaune, yeux ronds et brillants, yeux d’affamés… Il est temps pour beaucoup que cela finisse. Quelques-uns pensent qu’ils ne tiendront plus quinze jours ; les plus optimistes estiment qu’ils peuvent tenir pendant quelques mois. Je fais partie de ceux-là : pour le moral, il le faut ! »
À cette époque, Alfred Philiponnet note sur son journal :
« 10 avril : À 10 h 30, mon kommando Speer est bombardé, tout est détruit. Il y aurait plusieurs centaines de morts. La fumée cache le soleil. Nous rentrons à 20 h au camp, où deux blocks ont été touchés.
« 11 avril : Nous revenons déblayer à Speer. Tout brûle encore. On n’y voit pas à dix mètres. Des bombes continuent de sauter.
« 12 avril : Encore un déblaiement Speer.
« Vendredi 13 avril : J’ai abandonné Speer pour déblayer les ruines à Oranienburg : je suis resté toute la journée appuyé sur ma pelle.
« 14 avril : Encore à Oranienburg.
« Dimanche 15 avril : Le camp ne travaille pas.
« 16 avril : J’ai décidé de ne pas aller travailler, beaucoup de camarades se cachent et ne sont pas embêtés. Après l’appel, aux cris de “ Arbeitkommandos ” je me faufile entre les blocks et je rentre dans le mien. Mais je n’ai pas de veine, car, étant au lit, j’entends à 10 h tous les autres kommandos rentrer : personne ne travaille. Les Russes, paraît-il, auraient poussé une pointe dans le coin.
« 17 avril : Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Des kommandos repartent au travail. Je me cache à nouveau et beaucoup font comme moi.
« 18 et 19 avril : Les chefs de block “verts” et les S. S. font des barrages pour s’opposer, après l’appel, au retour des détenus dans les blocks. Le jeudi, je suis forcé d’aller travailler à l’usine près de la gare.
« Vendredi 20 : Plusieurs camarades et moi avons réussi à nous faufiler à travers les barrages et, après un peu de gymnastique, nous parvenons à passer par les fenêtres de notre dortoir. Nous nous glissons sous les lits, et, le nez dans la poussière, nous attendons 8 h, le moment où il n’y aura plus de chasse et où nous pourrons être tranquilles. C’était inutile. Vers 8 h, tous les kommandos rentrent et les blocks sont consignés jusqu’à 10 h, personne ne sait pourquoi. Nous sortons de notre position incommode. Vers 10 h, l’alerte sonne et des avions nous survolent. Des bombes tombent autour du camp, les blocks tremblent. Certains détenus pris de panique sautent par les fenêtres et courent comme des fous. Une pluie de tracts descend
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