Sachso
plus. Quant à mon butin, il est partagé en neuf parts égales, pour les neuf de notre groupe.
« Une autre fois, notre colonne est stoppée pour laisser passer un convoi de camions qui nous croise. Un soldat cycliste de la Wehrmacht allant dans le même sens que nous doit stopper lui aussi. En posant pied à terre, il s’appuie sur l’épaule de Corentin Le Berre auprès de qui je suis. Tintin, bien fatigué, chancelle sous le poids. Mais il remarque aussitôt, dans le casque accroché au guidon comme un panier, un gros morceau de pain. De surprise, il me crie : “Bon Dieu ! Celui-là a encore du pain !” Le soldat comprend-il ? Quand nous reprenons notre marche et qu’il démarre à son tour, il donne son pain à Le Berre. Nous n’en revenons pas. Il y a donc encore des humains dans ce pays maudit ?
« Une camionnette de pain est attaquée. Dans la bagarre, André Pichereau reçoit une balle dans la cuisse, où elle reste logée sans avoir touché, heureusement, ni l’os ni l’artère. Aidé par Marcel Barré, de Chartres, il reprend sa marche…
« Et puis, il y a ce chien, sorti on ne sait d’où, qui nous suit un matin, au départ de la colonne. C’est un setter. Ces chiens sont d’un naturel très doux. Il ne fait aucune difficulté pour nous accompagner. Le soir, aussi fourbu que nous, il s’endort aussitôt. Ce dont un Russe profite pour le tuer, le dépecer. Je n’ai vent de l’affaire que lorsque Roger Guérin m’apporte un morceau de viande cuite dont je me régale. Les autres camarades ont aussi leur part. L’accord est total pour déclarer cette viande délicieuse… »
Un soir, Louis Péarron et sa colonne sont parqués dans une cour de ferme : « Je suis près d’une batteuse à grains. Je cherche dans la poussière quelques grains de seigle que je mastique mais que j’ai du mal à avaler. À un moment, j’entends les S. S. réclamer un ou deux bouchers. J’appelle mon camarade Bernard Linquet, qui a fait ce métier en France. Je l’amène près des S. S. qui le prennent avec un autre et je le quitte en lui disant : “Débrouille-toi pour nous avoir quelque chose.” « Dans une autre cour, séparée de la nôtre par des planches, ils tuent quatre veaux pour les S. S. Linquet m’appelle et me demande sa gamelle et la mienne, les S. S. lui ayant permis de prendre du sang des veaux. Nous déclouons et arrachons une planche de la palissade et je lui passe les gamelles qu’il me rend pleines de sang. Un sang qui nous a sans doute sauvé la vie en nous permettant de tenir quelques jours de plus.
« Tous n’ont pas la même chance ! Je ne sais pour quels petits larcins commis par trois jeunes Russes – je crois qu’ils avaient trouvé des boîtes de conserves dans une cave –, les S. S. les font sortir de la cour, les obligent à creuser des trous et les tuent, chacun dans sa tombe… »
La vie, la mort, qu’est-ce qui les sépare quand elles dépendent d’un S. S. ? Rochard n’a pas le temps de se le demander quand éclate l’incident qui aurait pu lui être fatal : « Ce jour-là, les S. S. prennent fantaisie de nous faire porter leurs sacs à dos, qui ne sont pas légers. L’un me colle donc son sac sur les épaules, ce qui me déséquilibre et le sac tombe à terre. Je continue ma route, faisant semblant de ne pas comprendre les insultes du S. S. qui revient et me remet son sac sur le dos. Alors là, pris d’une colère soudaine, j’envoie le sac en l’air et crie au S. S. : “Tu n’as pas le droit de me faire porter ton sac. Tu vois bien que je ne peux même pas marcher. Viens avec moi trouver le lieutenant, tu seras puni.” J’y vais vraiment au culot. Il sort son revolver, le presse sur ma tempe ; rien n’y fait. Je gueule plus fort que lui. “Tire, si tu en as le courage ! Tire donc ! Tu n’en es pas à un mort près ! Dans quelques jours tu seras pendu. Tu ne seras pas pendu deux fois si tu descends un Français de plus.” Lui, de son côté, m’insulte copieusement mais, à ce moment-là, il m’est bien égal de mourir. Je fais quelques dizaines de mètres comme ça, le revolver sur la tempe. Mais il ne tire pas. Pourquoi ? Je ne le saurai jamais…
« Pendant ce temps, Chupin, plus mort que vif, prend le sac et le porte. Je le lui enlève, le remets à terre en disant que ce n’est pas parce que je refuse de le porter qu’il faut qu’il se crève. Fou de rage mais paraissant complètement dépité, le
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