Sachso
S. S. reprend son sac et rejoint sa place sur le côté de la colonne. Je crois que mes camarades ont eu plus peur que moi ! »
Couradeau, dans le groupe des Châtelleraudais, brave lui aussi les coups des S. S., pour la soupe aux orties : « Avec Lecointre, à tour de rôle nous changeons de place dans le rang pour être au bord de l’accotement. Il faut faire vite, sinon les crosses de nos gardiens labourent l’échine. Ah ! les garces d’orties, elles piquent ! J’ai les mains en sang. Le soir, à l’étape, on les fait mijoter dans la gamelle avec de l’eau du fossé. Pour nos estomacs affamés, quel festin !
« Pourquoi les araignées, les cloportes, les orties me disais-je autrefois, au temps de la liberté ? Le bon Dieu fait bien ce qu’il fait. Il savait, lui, que nous serions heureux un jour de les trouver sur notre chemin. Avec Lecointre, on aurait mangé de la terre s’il l’avait fallu, pour aller jusqu’au bout.
« Dans la traversée de Neuruppin, une vieille femme, sur le pas de sa porte, nous tend un seau d’eau. Le S. S. furieux le renverse et hurle des injures. Enfin, une Allemande qui a du cœur… »
Égoïsme et solidarité se livrent également un combat incessant à l’intérieur de chacun. Louis Mord dès le départ, s’accroche à deux de ses camarades, car il souffre de son bras gauche, ankylosé : « Quand nous passons devant des silos de pommes de terre, c’est la ruée, malgré les S. S. qui tirent. Mes deux copains y vont en me laissant sur la route et, le soir, partagent avec moi les patates qu’ils ont pu prendre. Mais, avec les jours, la camaraderie s’effrite. Vient le moment où ils me disent que c’est fini pour le partage, que, s’ils risquent la mort à chaque silo, il est normal qu’ils profitent entièrement de leurs prises.
« Bien que j’en souffre, je trouve cette décision logique. Malgré tout, ils continuent à me donner une ou deux patates chacun, quand je les regarde faire leur cuisson du soir. Mais je m’affaiblis comme tant d’autres et je vois le moment où je m’allongerai sur le bas-côté de la route pour recevoir une balle dans la nuque. Toutefois, je ne veux pas rester seul pour attendre cet instant. Un camarade plus âgé que moi me dit que, lui aussi, est à bout et qu’il n’espère plus retourner en France. Le moral au plus bas, nous nous couchons, mais le subconscient veille toujours. Je pense soudain qu’il n’y en a plus pour longtemps, que la liberté est proche, que ce serait complètement idiot d’avoir fait tout ce chemin et de se laisser tuer. Je me retourne pour l’expliquer à mon camarade et je m’aperçois que je suis seul. Il n’est plus là. Il m’a laissé tomber, sans rien dire.
« Je me redresse comme je peux et je m’intègre dans une colonne qui passe, plutôt mal que bien, car je me trouve mélangé avec des étrangers et chacun me repousse à l’arrière. Heureusement, je retrouve bientôt ma colonne à l’arrêt et je peux y reprendre ma place. »
Joseph Gérard, un ouvrier de Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle) se traîne rongé par la dysenterie. Charles Désirat l’oblige à s’asseoir sur le timon de la charrette des S. S. qu’il tire avec d’autres Français : « Je lui dis : “Si tu as besoin de te soulager, n’hésite pas à le faire sans descendre !” Mais un peu plus tard, il tient à aller s’accroupir au bord de la toute. Survient alors en side-car un S. S. balafré qui lui ordonne de rejoindre la colonne. Le malheureux, affaibli, ne peut se relever. Il est abattu sous nos yeux. »
Le nom d’une des villes traversées, Neuruppin, s’inscrit tout particulièrement dans la mémoire de Marcel Vallée : « C’est à Neuruppin que notre camarade Gosman ne peut plus marcher, tellement il a les jambes enflées. Il pleure, le pauvre ! Mazoyer et moi le soutenons pour ne pas le laisser. Des kilomètres se succèdent. Gosman se rend compte que nous faiblissons à notre tour. C’est vrai, malgré notre volonté, nous n’en pouvons plus. Gosman, le regard déjà perdu, nous dit : “Laissez-moi ; ça vaut mieux, moi tout seul que tous les trois !”
« Le temps de faire à peine cinquante mètres, le pauvre Gosman est tué. Je vois le S. S. tirer. Mazoyer, lui, ne peut pas regarder !
« Combien de fois avons-nous regretté ensuite cette minute ? D’autant plus qu’après une dizaine de kilomètres nous atteignons les bois de Wittstock où
Weitere Kostenlose Bücher