Sachso
le quatrième, un infirmier alsacien, qui les aide à manger. Leur dernière énergie est encore de porter à la bouche de malheureuses galettes sèches de farine de riz avec un peu de confiture qu’ils ont peine à mâcher… Ils meurent tous les trois dans la nuit, pendant que la pluie glacée n’arrête pas de tomber…
« Je suis moi-même transi. Oh, que j’ai froid ! Dans un sursaut de colère, en sentant venir la mort alors que la délivrance est si près, je prends mon canif et je grave dans le hêtre : “Vive la France ! L. P.”.
« Le jour du 1 er mai se lève sous cette terrible pluie qui pénètre nos corps déchirés et glace jusqu’à notre dernière goutte de sang. Il faut remuer pour activer ce qui nous reste de circulation, autrement c’est la mort lente et silencieuse dans cette sinistre forêt…
« À plusieurs reprises, des camarades demandent de l’eau. Une corvée est organisée. Quelques-uns rassemblent le plus possible de gamelles et partent. C’est au cours de cette corvée qu’un S. S. interpelle un Français en hurlant. Ce dernier ne comprenant pas assez vite, je suppose, le S. S. lui plante le canon de son fusil en pleine poitrine et lui défonce le thorax. Le malheureux rejoint le groupe en remontant la pente à genoux, plié en deux, soutenu par des camarades. Son nom est Guy Verrier. »
LA CROIX-ROUGE TÉMOIGNE
L’un des organisateurs du ravitaillement des détenus de Sachsenhausen par la Croix-Rouge est M. de Cocatrix. Reprenons son rapport :
« Ma tâche consistait à ramener des colis de vivres par des camions Croix-Rouge vers les colonnes de détenus qui, la plupart du temps, n’étaient pas ravitaillés par les S. S.
« J’ai procédé à ce ravitaillement au moyen des réserves constituées à Wagenitz. Pendant quatre jours et quatre nuits, les camions roulèrent et les chauffeurs et moi fûmes témoins des faits suivants :
« Le soir de la première journée de marche, des détenus français déclarèrent avoir appris que les S. S. avaient l’intention de commencer dans la nuit la fusillade des déportés. Ils nous priaient de rester auprès d’eux pendant la nuit avec des camions Croix-Rouge pour empêcher dans la mesure du possible de tels excès. Nous ne pouvions malheureusement pas donner suite à ce désir, puisque nous devions charger les camions pendant la nuit.
« Le matin du 22 avril, nous découvrîmes sur une longueur de sept kilomètres, entre Löwenberg et Lindow, les vingt premiers détenus fusillés au bord de la route : tous avaient une balle dans la tête. Au fur et à mesure de notre avance, nous rencontrâmes un nombre toujours plus grand de détenus fusillés au bord de la route ou dans les fossés.
« Dans les forêts, entre Neuruppin et Wittstock, nous avons trouvé alors régulièrement, aux endroits où les détenus avaient passé la nuit ou à des endroits de halte, plusieurs cadavres, en partie jetés dans les feux de camp et à moitié brûlés.
« Au premier village après Neuruppin, en direction de Rägelin, un détenu resté en arrière a porté le fait suivant à notre connaissance. Le 22 avril, un commandant a entassé dans ce village ses cinq cents détenus dans une grange pour faire une halte de quelques heures. À quatre heures de l’après-midi, sa colonne se remit en marche. Quatorze détenus, complètement épuisés, restèrent endormis dans la grange. À cinq heures, une autre colonne arriva dans la même grange et trouva les quatorze détenus endormis. Les S. S. traînèrent alors les quatorze détenus restés en arrière derrière la grange et les fusillèrent aussitôt, sous l’inculpation de désertion.
« Le troisième jour de l’évacuation, nous rencontrâmes encore plus de cadavres que la veille. Des détenus de nationalités diverses nous ont secrètement déclaré que les S. S. et les criminels allemands en uniforme de la Wehrmacht continuaient à tuer, à coups de fusil à la tête, chaque détenu exténué. Les malades étaient également fusillés de la même manière. Les S. S. profitaient de chaque occasion pour fusiller les “notables”…
« L’examen d’un grand nombre de cadavres a révélé que toutes les victimes avaient été liquidées d’une balle dans la tête. Sur notre demande, les détenus nous ont déclaré que souvent les S. S. ont obligé leurs victimes à s’agenouiller ou à s’allonger, cinquante mètres derrière la colonne en
Weitere Kostenlose Bücher