Sachso
mieux et dans la mesure du possible…
« Vers Parchim, je rencontrai une colonne de cinq mille détenus qui se traînaient avec difficulté. Devant la colonne, sur une petite voiture chargée de malles et tirée péniblement par six à huit détenus, trônait une femme apparemment “de bonne société”. J’interpellai le commandant de la colonne et lui demandai qui était cette personne. Il me répondit qu’il s’agissait de la femme d’un officier S. S. qui était tombée malade au cours de la fuite. À ma question sur ce qu’elle avait, il me répondit très sérieusement qu’elle souffrait d’une indigestion pour avoir trop mangé de raisins secs. »
Ce qui conduit le docteur Pfister à noter dans son rapport, à propos de la distribution des colis de secours : « En général, on peut dire qu’à part les cigarettes et autres articles de luxe plus ou moins recherchés, les détenus gardaient leur colis de secours dès que ceux-ci avaient été distribués personnellement par le délégué, le chef de colonne ou le personnel adjoint du C. I. C. R. À Wittstock, une colonne de camions avait établi un dépôt permettant d’apporter de nouveaux colis de secours. Lorsque les détenus devaient continuer leur marche, chaque soldat S. S. recevait un paquet, tandis que les détenus ne recevaient qu’un paquet pour cinq hommes, c’est-à-dire le reste du solde. Malheureusement, je n’ai jamais pu surprendre un S. S. en possession d’un colis de secours, mais le procédé ci-dessus m’a été confirmé de plusieurs côtés. D’ailleurs, d’où seraient venus les raisins secs qui avaient provoqué une indigestion chez la femme de l’officier S. S. ? »
Les colonnes de femmes de Sachsenhausen, jetées elles aussi sur les routes vers le nord-ouest, n’entrent pas dans les bois de Wittstock et de Below, mais sont entassées dans des fermes du voisinage.
Renée Dray, en entrant dans Wittstock, a un coup au cœur : « Quand je vois ce nom de ville inscrit sur une pancarte, je repense aussitôt à ce que me disait mon père, prisonnier de guerre en 1914-1918. Après Darmstadt et un séjour de représailles en Pologne russe, c’est à Wittstock qu’il avait terminé sa captivité et il m’en avait souvent parlé. Ah, si mon père me voyait passer là à mon tour…
« À l’orée du bois, on nous distribue des colis de camions de la Croix-Rouge et nous nous arrêtons dans une ferme. J’en garde un souvenir terrible, parce que c’est là qu’une de mes merveilleuses camarades, Marie Savin, est frappée à mort par le fameux Jacob.
« C’est un “droit commun”, un gros, une véritable brute que les S. S. ont enrôlé pour nous encadrer. À ce moment-là, il tape d’abord sur une déportée assez âgée, qui tombe. Marie Savin va à son secours pour l’aider à se relever. Jacob lui donne alors un grand coup de gourdin sur la tête. Comme elle a déjà été trépanée, elle reste à moitié inanimée. Une longue agonie commence pour elle.
« Elle ne voit sans doute rien quand nous traversons Parchim et que nous passons devant les grilles d’un parc où sont rassemblés des prisonniers de guerre français. Mais avec ma camarade Denise Guérin, de la banlieue parisienne, qui marche à côté de moi, nous les entendons parler français. Toutes minables que nous sommes, couvertes de haillons, nous voulons pourtant crâner : nous chantons “la Marseillaise”. Les prisonniers de guerre se mettent à pleurer. Soudain, nous en voyons un sauter par-dessus la grille et venir embrasser Denise, en criant : “Mon Dieu ! ma sœur ! ma sœur !” Oui, c’est bien le frère de Denise Guérin ! En un éclair, je repense une nouvelle fois à mon père, prisonnier de guerre à Wittstock, il y a près de trente ans ! Quelles coïncidences extraordinaires…
« Peu de temps après, les S. S. nous font entrer dans un bois et nous disent de nous coucher, car nous marchons depuis quarante-huit heures sans dormir ! Malgré le bruit de la bataille, nous nous endormons comme des masses. Tout à coup, nous entendons une camarade crier : “Les S. S. nous ont abandonnées !” Sur le chemin, les chariots transportant leurs affaires sont en train de brûler, des uniformes se consument. Ils se sont certainement habillés en civil pour fuir…
« La rage et la déception nous saisissent. Nous avions rêvé de leur faire payer ce qu’ils nous ont fait, de leur faire payer la mort de
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