Sachso
nos camarades assassinées, et cette possibilité disparaît. Notre rage est d’autant plus grande qu’à l’heure même où nous allons être libérées, Marie Savin – cette camarade dont Annie Hervé disait : “Tu es trop parfaite ! Tu me fais honte parce que tu es trop parfaite !” est en train de mourir des suites du coup donné par Jacob. Une hémorragie méningée s’est sûrement déclarée. Georgette Fradin, qui est médecin, l’assiste dans ses derniers moments.
« Nous pleurons la mort de Marie et nous sommes tellement affaiblies que nous n’avons plus la force de faire tout ce à quoi nous avions pensé lorsque nous serions libres. Nous avions pensé que nous danserions, que nous chanterions. Rien de cela !
« Nous nous dirigeons vers une ferme où un drapeau blanc est hissé. Nous entrons dans la grange avec le corps de Marie sur une civière faite de branches et d’une couverture. Allongées dans la paille, nous sombrons aussitôt dans le sommeil.
« Au bout de deux heures peut-être, des prisonniers de guerre français nous réveillent. Ils sont du village de Stolpe, à deux kilomètres. Ils nous disent : “Que faites-vous là ? Venez au village. Vous êtes libres. En avez-vous bien conscience ?” « Avec Lucie Morice, on se soulève sur le coude et on leur crie : “Oh, foutez-nous la paix ! Laissez-nous dormir !” Cela pour dire à quel point d’épuisement nous étions et comment nous ne pouvions apprécier pleinement ce moment tant attendu.
« C’est seulement après une heure ou deux de récupération que nous allons à Stolpe, où les troupes russes se battent encore. C’est le 3 mai 1945. Les Soviétiques nous permettent d’amener le corps de Marie Savin. Nous l’enterrons dans le petit cimetière de Stolpe, le lendemain même de notre libération. »
Dans chaque groupe de femmes, il s’en trouve, à l’exemple de Marie Savin, pour galvaniser le courage des autres aux heures les plus difficiles. Esther Brun-Kennedy est de celles-là. Dans sa colonne, les détenues se mettent à compter, sans savoir pourquoi, les morts et les mortes dont les S. S. ont jonché la route. Elle réalise soudain : « Je crois que la folie nous guette. Non ! non ! Il ne faut pas se laisser aller. Allez Gouby, Renée, Thérèse, Geo, courage ! Non ! vous ne devez pas rester sur le bord de la route, la tête éclatée. Alors, je chante :
“Marchons au pas, camarades,
Marchons au feu hardiment :
Par-delà les barricades,
La liberté nous attend.”
« Nous la tirons avec nos dents, cette liberté ! Le huitième jour de ce long calvaire, nous voyons s’arrêter un grand camion de la Croix-Rouge suisse, je crois. Un homme nous distribue un colis pour cinq femmes. Puis cet homme me dit tout bas : “Françaises ? Oui, alors courage, encore deux jours !”
« Ces trois mots : “encore deux jours” explosent en nous, mettent un espoir lumineux dans tous les cœurs, car ils sont aussitôt retraduits dans toutes les langues parmi les mille femmes de notre colonne. Et le chœur éclate à nouveau, plus confiant : “Marchons au pas, camarades”…
« Le lendemain, nous avons la grande peine de perdre sur la route notre très chère amie Salzer, de Dôle, une sainte. Elle était encore là tout à l’heure à côté de nous. Elle n’y est plus. Catherine Gouby, qui l’assiste depuis le début de la marche, la cherche tout au long de la colonne qui s’étire sur un kilomètre au moins et qu’elle parcourt à trois ou quatre reprises. Rien ! Rien ! Nous imaginons qu’elle a pu être recueillie par un camion. Nous saurons par la suite qu’il en est bien ainsi. Elle a été conduite dans un hôpital, mais elle y est décédée sans revoir son pays.
« Quant à nous, encore un jour et c’est bien la libération annoncée par l’homme de la Croix-Rouge. Nos gardiens S. S. nous remettent aux mains des prisonniers de guerre français avant de disparaître… »
D’autres femmes françaises de Sachsenhausen sont recueillies par les soldats russes et conduites avec des Belges dans une grange immense où elles sont aussitôt ravitaillées. Olga Nowak est parmi elles. En cours de route, son groupe aussi a perdu une Française, mais au milieu de la joie générale : elle avait retrouvé son mari prisonnier de guerre et était partie avec lui…
À LA JONCTION DE SCHWERIN
Quand le branle-bas des rassemblements fait sortir les unes après les
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