Sachso
débouchent maintenant de partout dans la plaine devant notre bois, à pied et à cheval, sur toutes sortes de montures (chevaux de labour, chevaux de trait, petits chevaux de Poméranie). Une vague après l’autre, ils fouillent les bois, ne laissent rien passer et nettoient le terrain. Le S. S. caché n’a pas beaucoup de chance de leur échapper.
« Sur le conseil de l’officier soviétique, nous rejoignons Crivitz, à trois kilomètres. Les civils ont fui la ville occupée par les Russes, qui nous font repartir vers l’arrière, vers Parchim. Sur le chemin, nous rencontrons un groupe de prisonniers allemands que leurs gardiens russes obligent à nous donner leurs chaussures après avoir constaté l’état lamentable de nos galoches.
« Puis c’est une centaine de prisonniers de guerre français que nous croisons. Eux vont vers l’ouest.
« Nous tombons ensuite sur un groupe d’artillerie soviétique en position à l’orée d’un bois. Les militaires viennent à notre rencontre. Une batterie est commandée par une femme, avec le grade de capitaine. C’est la première femme officier russe que nous voyons.
« Le lendemain matin 6 mai, beaucoup ne sont plus capables de poursuivre la route vers Parchim. Avec l’amiral Crosnier, qui se joint à Houlbert, Linquet et à moi, nous décidons de retourner à Crivitz pour rejoindre l’ouest le plus tôt possible. À Crivitz, toujours vide, un magasin de vêtements est ouvert. Nous aimerions trouver des chaussettes, nos pieds sont trempés par la pluie de la nuit. Pas de chaussettes ! Je trouve par contre des gants de laine et mets à leur place, dans le casier, la paire que ma pauvre maman m’avait fait parvenir et que je reprisais depuis trente-trois mois avec des fils de toutes couleurs, tirés des chiffons d’essuyage des machines de mon kommando.
« Comme prévu, nous repartons de Crivitz vers l’ouest, c’est-à-dire vers Schwerin.
« Après quelques kilomètres, nous rencontrons un groupe de déportés français dont l’amiral Jozan a pris le commandement. Ils se reposent. Parce que nous sommes pressés d’arriver, nous continuons notre route. Encore deux kilomètres dans la forêt redevenue calme et silencieuse après le tumulte de la veille, et un spectacle affreux nous surprend. Des dizaines et des dizaines de déportés gisent, massacrés. Ils appartenaient à des colonnes qui précédaient la nôtre. Nous recherchons des camarades. Je reconnais un Belge. Il est sur le dos, il a encore ses lunettes, il semble dormir, son teint est cireux…
« En fin d’après-midi, nous arrivons sur un pont enjambant un ruisseau qui sert de démarcation entre la zone russe et la zone américaine. Nous parlons amicalement avec le chef de poste, qui nous autorise à poursuivre notre route.
« Dans cette zone de Schwerin, on dirait que l’armée allemande toute entière est venue déposer les armes. Le matériel, les camions renversés s’amassent sur les deux côtés de la chaussée. Les prairies sont pleines de réfugiés allemands parqués pêle-mêle. Sur la droite, le lac de Schwerin s’étend loin à l’horizon. Nous passons devant le magnifique château. Après quelques détours, nous allons à l’arsenal. »
Henri Conzett est un des rares Français qui effectuent la dernière étape de la marche… à bord d’un camion de la Croix-Rouge. Peu après le bois de Below, il s’est écroulé. Ses genoux ne veulent plus fonctionner. Il supplie ses camarades du block 38, Dupuis, Rice, Barthélémy, de le laisser, sinon il les entraînerait tous dans la mort. Ses galoches lui sont enlevées. Mais, quand il pense sa dernière heure venue en voyant la sentinelle se porter à sa hauteur et le regarder, rien ne se produit. Il réussit alors à se rouler dans des broussailles, hors de la vue des gardes qui suivent. Ses forces revenues, il gagne une cabane de paysan, plus loin dans les champs. Autour, il y a des pissenlits, qu’il commence à manger. À l’intérieur, il y a encore des grains d’orge au fond d’une auge. Il les mange aussi. Un bruit le dérange soudain : « Par les interstices des planches, je vois arriver un soldat allemand qui, la porte ouverte, s’arrête, surpris de ma présence. Il entre, son vélo à la main, s’assoit dans un coin et me dit : “ Kriegsgefangene ?” (Prisonnier de guerre ?) Je lui réponds : “Prisonnier civil” Malgré ma casquette avec un X rouge, il m’avait pris pour un soldat en
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