Sachso
miraculeusement conservé, j’en tranche quelques biftecks que je mange à peu près crus. Le soir du 4 mai, inconscients et confiants dans les indications des Russes, nous partons vers l’est, où l’on doit nous accueillir avec des moyens plus adaptés.
« Nous nous installons pour passer la nuit dans un bois.
Il pleut. Nous prenons les vieux volets d’une maison forestière en ruines et les posons sur des rondins, pour faire un abri. Il est trop petit pour les quatre, dont Marcel Riquier et moi-même, qui s’allongent dessous. L’eau ruisselle sur nos tibias.
« Souffrant déjà de dysenterie, Marcel se lève dans la nuit noire, s’éloigne et ne nous retrouve plus. Il finit la nuit au pied d’un arbre, sans abri !
« Voilà vingt-quatre heures que nous sommes libres : nous commençons à recouvrer nos esprits. La marche vers l’est, même si on nous attend, ne nous paraît pas très indiquée et, par petits groupes, nous repartons vers l’ouest.
« Nous croisons des caravanes de voitures à chevaux, conduites avec maestria par des ressortissants des pays de l’Est, Russes, Ukrainiens, Polonais, qui rentrent chez eux à bride abattue.
« Pour nous, il s’agit de dépasser les avant-postes russes. Nous y parvenons sans difficulté et, le 5 mai, nous logeons dans une ferme, entre les Russes et les Américains. Nous dormons comme des loirs dans un grenier à foin. Nous y découvrons un casque à pointe, transformé illico par Marcel en vase de nuit. Humoristique revanche !
« Le 6 mai, nous atteignons et traversons les avant-postes américains et arrivons enfin à Schwerin, où les isolés dans notre genre sont regroupés à la caserne Adolf-Hitler… mais ne sont pris en compte par personne… »
ENTRE DEUX FRONTS
Le bois de Below met plusieurs jours à se vider de tous ses occupants venant de Sachsenhausen. À l’exception de quelques colonnes qui suivent un itinéraire plus au sud et seront libérées à Blievenstorf, la direction générale est Parchim-Crivitz. Le 2 mai au matin, Louis Péarron est dans les derniers à la prendre. Il cherche à retarder le plus possible le moment du départ. Avec d’autres, il est à l’affût de la brèche dans le dispositif S. S. qui lui permettrait de s’enfoncer dans la forêt et d’y attendre les Russes. Il lui semble que les gardiens sont moins nombreux mais, soudain, des coups de sifflet se répercutent sous les arbres : « Désillusion pour nous ! Des S. S. sortent de partout avec des chiens et nous poussent vers le lieu de rassemblement. Impossible de fuir. Nous nous regroupons à nouveau pour nous aider et nous soutenir. Quand nous arrivons près de la route, où les premiers sont déjà par rangs de cinq, les S. S. s’énervent parce que nous n’allons pas assez vite. Il semble que nous soyons la dernière colonne…
« Je vois Kolb, un des commandants du camp, s’arrêter devant le corps d’un de nos camarades qui vient de mourir à une dizaine de mètres de la toute. Il donne l’ordre de tirer le cadavre auprès d’un silo de betteraves et, chose inouïe, jamais vue jusque-là par nous, pauvres esclaves, le commandant en personne prend une pelle et recouvre le corps avec la terre du silo qu’il fait glisser…
« Mais quelques kilomètres plus loin, alors que la colonne s’allonge au désespoir des gardiens et que nous devons faire halte, ce même commandant revient vers nous et ordonne que les retardataires soient exécutés…
« Nous avons un nouveau chef de colonne, le capitaine S. S., chef du kommando des « Maths » de Sachsenhausen. Parmi nous, plusieurs ont fait partie de ce kommando de recherches et de calculs. Il y a notamment l’amiral Crosnier, de Nantes, Couture, ingénieur de Rouen, etc.
« Par l’intermédiaire d’un journaliste hollandais qui parle allemand, nous prenons contact avec le chef S. S. Notre interprète l’informe que nous connaissons la situation, qu’il y a parmi nous de nombreux officiers (ce qui frappe toujours) et que nous espérons qu’il se conduira lui-même en officier. Cela peut paraître invraisemblable, mais nous sommes nombreux à suivre l’entretien : l’amiral Jozan, Saint-Giron, Gartiser, Linquet, etc. Que notre avertissement ait été entendu dans une certaine mesure, nous le constatons peu après.
« Un de nos amis, commandant d’artillerie, un du kommando des « Maths » précisément, ne peut plus marcher, à demi paralysé par une
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