Sachso
gradation qui prétend tenir compte de la gravité de la faute.
Il y a d’abord la « gymnastique » du dimanche après-midi pour les cas bénins : oubli de saluer, mauvais alignement dans les rangs, paresse au travail, col de capote relevé, etc. Elle s’apparente aux séances de « sport » subies durant la quarantaine. À trois reprises Marcel Couradeau y a droit : « Sous la direction d’un détenu, vous déambulez sur la place d’appel, de long en large, au pas cadencé. Suivant l’humeur de celui qui commande la manœuvre ou la proximité du S. S. toujours vigilant, la cadence s’accentue. Après la marche, la course, après la course les sautillements sur place ; ensuite couché, debout, de plus en plus vite et ce n’est pas fini : il faut ramper. Tant pis s’il pleut et s’il y a de la boue, nos gardiens s’en réjouissent davantage. Enfin il y a le “crapaud” : sautillement à croupetons les mains sur la nuque, que l’on ne peut poursuivre longtemps sans piquer du nez par terre… »
Pour être passé un matin devant le poste de garde de son kommando de Falkensee les deux bras bien plaqués le long du corps mais les pouces dans les poches, Gervais Simonneau reçoit un copieux passage à tabac de son Vorarbeiter. Mais, le soir, son matricule est appelé : il est condamné à être retondu et à faire, “en crapaud” cinq fois le tour de la place : « Il est bien entendu défendu de se relever durant cette progression en “crapaud”. Aussi est-ce très fatigant et déprimant. Dès le premier tour je ne sens plus les muscles de mes jambes et de mes cuisses, ils sont tétanisés par l’effort accompli. Cependant il faut boucler les autres tours pour éviter une sanction supplémentaire : c’est la volonté seule qui permet de les accomplir.
« Il reste à se relever à la fin des cinq tours. Croyez-moi, ce n’est pas facile. On a l’impression d’avoir les jambes coupées au ras du bassin. Il faut s’aider de ses bras, mains par terre comme lorsqu’on veut monter en équilibre, déplier lentement les jambes en laissant porter le poids du corps sur les bras, tenir les jambes raides quand on réussit à les déplier. Alors on peut marcher à petits pas, tendu pour ne pas tomber, jusqu’à un block où des camarades vous prennent en charge…
« Le même soir, un déporté polonais n’est condamné qu’à deux tours de place “en crapaud”. Il a volé de l’alcool à brûler pour ravitailler son chef de block, qui l’ingurgite en guise de cognac. Le vol d’alcool à brûler constitue donc une faute moins grave que de passer devant le poste S. S. un pouce dans la poche… »
Le second échelon des sanctions est la schlague : dix, vingt, trente, jusqu’à cinquante coups sur les fesses, selon le motif et le grade du S. S. qui juge. Mal répondre au chef de block : la schlague ; couper le pan de sa chemise pour s’en faire une serviette : la schlague ; se faire voler sa capote ou son béret : la schlague ; être trouvé en possession d’un objet interdit : la schlague !
Généralement, le châtiment est exécuté par le bourreau reconnaissable à son brassard Z. Pensionnaire sept mois au block 8 de Sachsenhausen, Gaston Bernard a précisément comme voisin de placard le bourreau du camp : « J’ai bien observé sa schlague. À l’intérieur il y a une tige d’acier avec deux nerfs de bœuf tressés autour et le tout est recouvert d’une gaine de cuir. Elle mesure environ un mètre. » Le supplice réclame un second instrument, le Bock. C’est une espèce de chevalet en bois sur lequel est courbé le détenu, les fesses et le dos à l’air. Il a les bras attachés à plat avec des sangles de cuir et ses chevilles sont enserrées dans un carcan. Il ne peut bouger quand le bourreau lui assène les coups en présence du S. S. et des autres déportés convoqués le cas échéant pour l’exemple. Il doit en outre compter à haute voix le nombre des coups qu’il reçoit, sans quoi ils ne sont pas jugés « valables ». S’il s’évanouit, le bourreau s’arrête tranquillement et le ranime avec un seau d’eau, puis la séance reprend. Les plaies sanguinolentes zèbrent la peau sans laisser un centimètre intact. Durant plusieurs semaines, le puni ne pourra se coucher sur le dos.
Comme la potence du camp est transportée de temps à autre dans un kommando-annexe pour une exécution destinée à terroriser les déportés sur place, le
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