Sachso
Bock de Sachsenhausen voyage aussi. Alex Le Bihan le voit un jour au kommando Heinkel pour des bastonnades en série : « Ce sont les punis qui installent eux-mêmes la table de torture. Puis, devant tout le kommando réuni sur la place d’appel, ils y sont allongés à tour de rôle pour l’exécution de la sentence. Naturellement, le commandant est là et les punis lui présentent leur postérieur pour bien lui faire voir la trace des coups reçus. C’est encore le commandant qui leur fait exécuter des exercices de culture physique soi-disant pour éviter les hématomes. Et cela pendant que le bourreau, sa longue matraque attachée au poignet, continue de frapper comme un bûcheron abattant un arbre ! »
Dans d’autres circonstances, ce sont les kommandos-annexes qui envoient des fournées de punis se faire bastonner à Sachsenhausen. Les séances ont alors lieu dans un petit caveau, face à la fosse où ont lieu les fusillades, près du crématoire. Bruno Ballorca est dans l’un de ces groupes. Son crime ? Il a refusé à son Vorarbeiter d’échanger contre une boule de pain le foulard de soie reçu dans un colis de sa mère. Pour se venger, le Vorarbeiter l’a frappé puis l’a dénoncé comme ayant fumé aux W.-C. pendant les heures de travail.
À son arrivée au grand camp, Bruno Ballorca est étonné de se voir diriger vers le Revier avec ses compagnons. Il ignore que, par une de ces aberrations de la discipline et du règlement qui leur sont familières, les S. S. exigent que les victimes de la schlague soient, au préalable, déclarées médicalement aptes à subir leur punition. Avant, il faut donc passer au Revier, où un avis favorable est donné automatiquement ; et, après, pas question de revenir à l’infirmerie se faire panser !
Devant un médecin S. S., Bruno Ballorca baisse son pantalon : « À chacun de nous il déclare Alles gut ! (Tout va bien), et nous nous rendons aussitôt à l’endroit où se trouve le chevalet.
« Un S. S. frappe, un autre compte les coups. J’en reçois sept ou huit et je m’évanouis. Je devais en recevoir quinze, mais je ne peux dire combien il y en a eu vraiment. Je ne criais pas, je tenais mon calot serré entre les dents. “Détaché, je retombe à terre…” »
Le cérémonial barbare du Bock connaît de nombreuses variantes et les séries de dix ou vingt-cinq coups – les nombres qui semblent préférés des S. S. – sont souvent données en dehors des « règles » , plus sauvagement encore.
Georges de Saint-Étienne, un jeune de la région parisienne, assiste impuissant à la bastonnade d’un vieil homme de soixante ans : « C’est un avocat de Caen, qui porte des lunettes, M e Guibé. Le S. S. le fait plier en deux, fesses en l’air, prend une planche de lit et, à deux mains, lui assène dix coups sur le postérieur. »
Dans le groupe de Nils Mercier, qui quitte le grand camp pour un kommando-annexe, une dizaine de détenus sont trouvés porteurs d’objets divers : « Ils reçoivent immédiatement chacun vingt-cinq coups de schlague sur les fesses. C’est impressionnant. Dès les premiers coups, la peau saute et le sang coule… »
Au block 17, Gilbert Noailles a dans sa poche les chaussettes que sa mère lui a envoyées dans un colis et qu’il a lavées à son poste de travail : « Le S. S. les sort et m’accuse de les avoir volées. Il me conduit au block 8, où l’on passait alors à tabac. Le schlagueur officiel est là. On me pousse sur une table et on me ficelle les pieds. J’entends annoncer les “dix coups”. Je mords mon béret à pleines dents pour ne pas hurler sous la douleur… »
Tout ceci est, si l’on peut dire, la face visible de la répression au camp, celle qui est le lot quotidien de la vie concentrationnaire : elle vise à maintenir sous la terreur la masse des détenus. Il y en a une autre, moins voyante mais plus sélective et plus terrible qui sera évoquée dans un autre chapitre : elle conduit à la compagnie disciplinaire, aux cellules du Bunker (la prison) aux salles d’exécution de la Station Z ceux qui précisément mettent leur point d’honneur à combattre la terreur S. S. d’une manière ou d’une autre. Ce peut être par des moyens exceptionnels comme la création de mouvements de résistance clandestins, l’organisation de l’entraide et du sabotage, actes dont l’histoire des Français à Sachsenhausen est riche. C’est le plus souvent par
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